Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

mercredi 17 août 2011

France-Allemagne, le moteur en panne.

Attendu, le sommet entre le président français et la chancelière, l'était, mais plus encore les propositions dont ils devaient accoucher, et ainsi rassurer « les marchés ». Marchés bien ingrats puisqu'ils ont réagi par la négative ; l'euro retombant sous la parité $ 1,44 pour 1 €, le Dow Jones et le Nasdaq, les deux indices phares de la bourse de New York suivant eux aussi à la baisse. Mais pourquoi donc puisque, somme toute, les deux dirigeants sont parvenus à un accord rapide sur des propositions concrètes ?

La réalité est à la fois simple et complexe mais peut être résumé en une phrase : le moteur franco-allemand est en panne au bord de la route.

Alors que l'occasion n'a jamais été aussi belle de lancer l'Europe fédérale et de faire un grand pas, nos dirigeants se contentent d'un surplace dévastateur. Mais examinons donc ces fameuses propositions.


Et d'un coup ? Rien.
Suite à leur rencontre bilatérale, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont fait quatre propositions que voici :
1- un gouvernement économique de la zone €uro ;
2- une taxe sur les transactions financières ;
3- l'adoption de la « règle d'or » par les 17 États membres de la zone €uro;
4- l'émergence, à terme, d'un impôt sur les sociétés franco-allemand.

Reprenons donc ces propositions.

Un gouvernement économique de la zone €uro.
Cette proposition doit montrer un renforcement de la cohésion des politiques économiques entre États-membres de la zone €uro. Le problème est que cette gouvernance existe déjà. En effet, un structure de gouvernance a déjà été mis en œuvre suite aux précédents problèmes rencontrés par l'€uro. Son nom ? L'Eurogroupe. D'abord tournante, la présidence de cette structure est devenue plus définitive avec l'élection d'un président pour 2 ans et demi. Ce président est choisi parmi les membres du Conseil de l'Union européenne dans sa forme économique. Actuellement, il s'agit du Premier ministre luxembourgeois, M. Jean-Paul Juncker.

Aucun changement dans la structure profonde qu'aurait cette instance de gouvernement puisque ce serait toujours une structure intergouvernementale. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel viennent donc de réinventer l'Eurogroupe. Bravo.


Une taxe sur les transactions financières.
Maintes fois évoquée, mais toujours reportée pour d'obscures et subtiles raisons, l'idée d'une taxe marginale sur les flux de capitaux afin de limiter la spéculation tout en permettant de dégager des ressources permettant de stabiliser l'économie est revenue en grâce ces derniers temps. Beaucoup jugeaient son application possible uniquement si tous les États l'appliquaient au risque, dans le cas contraire, de pousser à l'évasion des capitaux.

Le même raisonnement a été appliqué, peu ou prou, à une autre taxe. Cette taxe, c'est celle qui s'applique actuellement sur les billets d'avion et qui a permis de dégager des ressources et pérennes bien que toujours insuffisantes pour lutter contre les grandes épidémies. Loin d'avoir impacté lourdement le secteur aérien, cette taxe ne semble avoir eu aucun effet sur la croissance du trafic aérien, à tel point que les pays l'appliquant songent à l'augmenter afin d'accroitre les ressources du fond précité.

Mais, là encore, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy enfoncent une porte ouverte. En effet, cette bonne résolution intervient plus de 5 mois après l'adoption par le Parlement européen au mois de Mars d'un texte en ce sens. Une différence de taille toutefois. La résolution du Parlement européen va beaucoup plus loin ! Pêle-mêle, elle demande de mettre un frein au néo-libéralisme effréné en accroissant les protections et l'approfondissement du marché intérieur ou encore la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux qui y sont associés.

Nicolas Sarkozy dont la tolérance vis-à-vis de la fraude fiscale des plus aisés et dont l'inventivité l'a poussé à créer de nouveaux paradis fiscaux dans les départements français d'outre-mer devrait s'en rappeler.


L'adoption de la règle d'or.
Nouvelle marotte de nos dirigeants qui citent l'exemple allemand pour généraliser l'austérité, l'instauration de la « règle d'or » est loin d'être la solution aux problèmes actuels. Pire, elle devient un problème dans des économies qui ont d'urgence besoin d'un stimulus économique de grande ampleur. Notre situation actuelle n'est pas si différente de l'après jeudi noir. Enfin si, les États sont venus au secours des banques et ont évité une panique bancaire généralisé en ouvre en grands les vannes de liquidités au lieu de les fermer. Résultat les banques ont été sauvées mais au lieu de prêter l'argent reçu, les institutions financières ont sagement rangés les milliards dans leurs coffres empêchant ainsi tout redécollage économique. Les États devront donc quoi qu'il advienne intervenir de nouveau.

Dans ce contexte, l'adoption de la « règle d'or » relève de la folie douce. Et quand bien même les États-membres de la zone €uro décideraient de se réformer en profondeur, ils auraient besoin de s'endetter pendant quelques années afin justement de mener ces réformes de structure. Et ces réformes demandent des fonds non négligeables en plus d'une culture du dialogue. Nombreux sont les États à avoir tenté de se réformer à fonds constants, rare sont ceux à être arrivés. La réduction des dépenses intervient, en effet, dans un deuxième temps lorsque les réformes de structure ont été intégrés mais avant, elles coûtent.


L'émergence d'une fiscalité commune sur les entreprises.
Proposition dont on a le moins parlé et pour cause, la convergence de la fiscalité sur les entreprises entre la France et l'Allemagne serait un premier pas vers une réelle fiscalité européenne. « Serait »? Oui, « serait », car il ne s'agit, pour le moment que d'une piste de réflexion. Traduction : rien n'est fait mais on y pense sérieusement. C'est déjà ça diront les optimistes, ce n'est qu'une promesse rétorqueront les autres. N'oublions pas que l'idée est déjà sur la table depuis un moment. Proposée par la Commission européenne depuis des années afin que l'Europe dispose de ressources indépendantes du budget des États, l'idée n'avait rencontré que peu d'écho. Certains États comme l'Irlande s'y opposant farouchement, même au bord de l'asphyxie financière en 2008. Pour ne pas avoir à augmenter cet impôt, le gouvernement de Brian Cowen ayant préféré tailler dans les dépenses sociales notamment envers les plus défavorisés.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Que la France et l'Allemagne ne fassent qu'envisager une telle mesure est déjà un progrès considérable vu les positions de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.


Conclusion.
De ce sommet franco-allemand, les « marchés » attendaient bien peu et ils en ont eu pour leur argent en termes de déception. Bloqués sur leurs positions en attendant les scrutins électoraux de 2012 pour la France, et 2013 pour l'Allemagne; le président de la République française et la chancelière allemande font aussi face à des coalitions parlementaires qui s'effritent. Merkel n'a pas de majorité sur le sujet de la crise de l'euro et des solutions à y apporter. Nicolas Sarkozy, grâce à la constitution de la Ve République tient encore les rênes même si le Parlement ne lui est pas totalement acquis et qu'il est probable qu'il le lui soit encore moins à la fin de l'année, une fois les élections sénatoriales passées.

Des deux côtés du Rhin, on s'observe en chiens de faïence alors que l'occasion se présente de pousser vers une Europe fédérale. Les marchés veulent une solution pérenne et non un nouveau plan à chaque coup de vent. Les citoyens souhaitent eux-aussi une plus grande sécurité économique et sociale et sont plus européens que leurs dirigeants comprenant tout l'intérêt qu'il y aurait à avoir des solutions communes. Mais voilà, le couple franco-allemand actuel est dirigé par deux personnes pas plus enthousiasmé que cela par la perspective de renforcer l'Union.

Dommage !

dimanche 7 août 2011

Le marasme de la dette.

Ils ont osé ! Après maintes menaces et tergiversations, les agences de notation financière ou plutôt une d’entre elles, Standard & Poor’s, a rétrogradé la note de la dette publique américaine du AAA, note la plus sûre attestant d’un risque nul, à AA+. Immédiatement, l’administration américaine a réagi en contestant vivement cette décision, la trouvant non justifiée, pour une bonne simple et raison : cela va mécaniquement renchérir le coût du recours aux marchés, donc de l'emprunt, pour l’oncle Sam. Toutefois, si on regarde un peu plus attentivement les choses, on s’aperçoit que la note des États-Unis d’Amérique aurait dû être dégradée depuis des années. En effet, la situation financière américaine est bien plus dégradée que celle de plusieurs pays européens pourtant notés plus sévèrement. Mais voilà, si dégrader l’Espagne ou l’Italie est relativement aisé et à conséquences limitées, tel n’est pas le cas d’une dégradation de la dette américaine. Dégrader la dette américaine, c’est dire clairement à la face du monde que non, la première économie du monde n’est plus si sûre et que l’on risque d’y perdre quelques noisettes.

En somme, il est aussi facile de réduire la dette américaine que de ralentir un paquebot lancé à pleine vitesse vers un iceberg.

Cette décision, attendue, fait réagir les quelques opérateurs encore présents dans les salles de marché durant la trêve estivale en même temps qu’elle donne de belles sueurs froides à nos dirigeants actuellement en vacances.

De ces récents évènements, on peut relever plusieurs aspects. Un impact des évènements en eux-mêmes mais aussi un impact des décisions prises sur le temps long.


Précédemment dans la crise financière mondiale.
La crise actuelle ne sort pas de nulle part. Elle est le fruit des excès de la période de croissance qui précède. Ainsi, des accès d’euphorie naissent des accès dramatiques purgeant le système et préparant le cycle suivant comme nous l’a enseigné ce bon docteur Juglar. Les causes de la crise des « subprimes » sont maintenant clairement identifiées. L’on connait donc les moyens d’éviter qu’elle se renouvèle. Mais a-t-on pour autant appliqué le remède adéquat ? Nullement !

Si les banques ont été sauvées, le système financier mondial remis d’un grave infarctus, le système économique dans son ensemble reste lui gravement malade. Malade de sa dette, malade de ses mauvaises habitudes prises depuis bien longtemps. Et les solutions apportées en urgence par les États pour éviter que le malade ne meure ne montreront leur efficacité que si le malade, en l’occurrence le système financier mondial change profondément ses habitudes. La situation actuelle n’est, on le voit, plus tenable. Les États, en sauvant le système, n’ont réalisé qu’un transfert de dette du privé vers le public et fait porter la charge de quelques-uns sur tous. Cette solution était indispensable pour éviter l’arrêt cardiaque. Mais en dehors de cela, quelles mesures ont été prises ?

En réalité, bien peu. Les normes comptables sont en passe de se durcir un peu mais pas beaucoup, les agences de notation ont redécouvert leur métier mais la finance mondiale est restée la même comme en témoigne les bonus faramineux que se sont versés les financiers à Londres ou à New York et que les populations commençaient à se mettre à l’austérité.

Les agences de notation donc, semblent avoir redécouvert que leur métier était d’évaluer le risque des investissements et des produits financiers. Ces agences, qui avaient noté AAA les fameux « subprimes » pour ensuite les classer en tant qu’investissements pourris la crise venue, ont décidé de faire preuve d’un zèle inhabituel envers leurs sauveurs, à savoir, les États. Et nombreux sont ceux, à en avoir fait les frais. L’Europe en premier, et les pays de la zone €uro en particulier, ont pu mesurer le coût de leurs années d’insouciance. Temporairement épargnés par les éléments maintenant braqués sur l’économie américaine, ces derniers n’en ont pas pour autant fini avec l’austérité. Les agences donc, après des années de complaisance avec ceux qu’elles étaient chargées d’évaluer, ne prennent plus de gants pour menacer les États. Mais cette intransigeance est toute aussi nocive que le laxisme passé.

En administrant des remèdes de plus en plus sévères aux États, le système financier mondial est en train de reporter aux calendes grecques (c’est le cas de le dire) sa guérison (et la leur) et donc le retour à une relative prospérité tout en déclenchant des mouvements d’ensemble considérables. Ainsi, on voit des pays comme la Grèce se vider de leur main d’œuvre qualifiée, les systèmes sociaux attaqués comme jamais alors même que ces derniers servent de « stabilisateurs » aux excès financiers préparant ainsi les conditions d’un retour plus rapide aux temps heureux et, plus inquiétant, et des mouvements sociaux d’ampleur. Bref, vous avez aimez la crise des « subprimes », vous allez adorer la crise de la dette publique.


Un monde à revoir de fond en combles.
Ces crises étaient non seulement prévisibles mais auraient pu et dû être évités. La crise de 1929 avait donné naissance à une règlementation stricte, parfois trop sur certains aspects, mais offrant un cadre normatif efficace à un épanouissement de long terme à l’économie. Son application a toutefois été lourdement remise en cause par les néolibéraux tels que Friedrich von Hayek et plus encore, par les monétaristes et un certain Milton Friedman. Au contexte contraignant, ces derniers déclaraient qu’il fallait déréguler à tout craint et que l’État ne devait se contenter que du minimum voit dans la mesure du possible disparaitre. La propagation de ce mode de pensée qui se traduisit avec l’arrivée au pouvoir concomitante de Tchatcher et Reagan a lancé un mouvement de dérégulation sans précédent. Toutes les barrières et limites érigées suite à la crise de 1929 ont été supprimées dans une joie commune indescriptible. Mieux, les hérauts de ce nouveau mode de pensée sont allés encore plus loin, en remettant en cause les missions traditionnellement dévolues aux États. On a donc vu les budgets sociaux et éducatifs diminuer avec pour conséquence l’explosion du nombre de sans-domicile et de pauvres en général tandis qu’une minorité accumulait l’essentiel de la richesse.

Ayant oublié les maximes les plus élémentaires, les différents défenseurs de ce « nouvel ordre mondial » devraient relire Henry Ford, chef d'entreprises qui avait une sainte horreur de ce tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un socialiste mais n'en avait pas moins compris l'importance d'une équitable répartition des richesses, qui eu l’outrecuidance de proclamer que « La plus haute finalité de la richesse n'est pas de faire de l'argent, mais de faire que l'argent améliore la vie. »