Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

mercredi 21 septembre 2011

Le nucléaire français condamné ?


Quel place pour le nucléaire en France et plus largement en Europe après le revirement allemand et la confirmation italienne de renoncer au nucléaire ?



Changement d'ère ?
Incontestablement, moindre. Tout du moins, au premier abord. N’oublions pas que parallèlement au renoncement de certains pays, auparavant déjà engagés dans la sortie du nucléaire tel que l’Allemagne ou l’Italie, d’autres comme la Finlande, le Royaume-Uni et la France se sont, eux, lancés dans un processus de renouvellement de leurs centrales vieillissantes. Décision qu’ils n’ont pas remis en cause, loin de là après Fukushima. Au contraire, il l’a justifie en précisant que la technologie européenne du nucléaire, plus sûre, conforte leur choix.

L’Allemagne a-t-elle donné le signe qu’un changement européen drastique allait s’opérer en matière de politique énergétique ? Oui et non. Oui, car incontestablement, le retournement si rapide d’un grand pays sur une question aussi importante n’est pas à négliger. Non, car, comme après chaque catastrophe, la sécurité s’accroit. Pour le nucléaire, ce dernier facteur justifiera des prix de l’énergie en hausse.



Fin de l'exception française ?
Reste le levier du droit communautaire de l’énergie qui occupe une place substantielle. Selon Arnaud Gossement, la position française n’est plus tenable et qu’à terme, des changements drastiques influenceront la France sur le nucléaire. Certes, le droit de l’énergie est le résultat en bonne partie du travail réalisé au plan communautaire. Et effectivement, la France, ces derniers temps, a été marginalisée, mais c’est plus par sa volonté d’en rester au statut quo ou de s’en tenir à de timides réformes que la France s’est distinguée. Quelques concessions en matière de sûreté nucléaire aideront à faire oublier cet épisode.

La spécificité française en matière nucléaire n’est pas unique, plusieurs autres pays européens veulent soit la maintenir pour ne pas dépendre de la Russie, comme en Europe de l’Est, soit la développer pour assurer leur consommation d’énergie comme le Royaume-Uni. La France n’est donc pas seule et il serait un peu présomptueux d’estimer que le droit communautaire remettrait en cause la spécificité française. Tout simplement, parce le choix français du nucléaire relève d’une décision politique majeure, un des rares enjeux pour lesquels les États ont gardé leur souveraineté.

On a d’ailleurs bien vu qu’il était plus que compliqué de changer les choses lors des négociations à propos du paquet climat-énergie. La Pologne et plusieurs autres pays ont freiné des quatre fers et ont faillit faire capoter le projet. Ajoutons la France et le Royaume-Uni à ces pays et le mélange s’avèrerait plus compliqué à changer qu’il n’y parait.


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Crédit photo : ~ Pil ~

mardi 20 septembre 2011

« Le nucléaire, c’est fini pour nous »


En marge d’un contexte plutôt chargé, le conglomérat Siemens, a annoncé qu’il entendait se retirer du secteur nucléaire ou pour être précis, des pans d’activité du secteur uniquement dédié au nucléaire. L’annonce n’est pas surprenante et était même prévisible pour l’allemand suite à ses récents déboires judiciaires.

Présentée comme un tournant majeur pour l’industrie par certains ou comme une « révolution » par d’autres, la décision de l’entreprise doit être remise en perspective à l’aune de plusieurs facteurs. L’autre volet soulevé est  celle des potentielles conséquences de cette décision. Autrement dit, la France va-t-elle voir sa politique énergétique changée ? Ce dernier point fera l'objet d'un second article.



Partir en restant.
Peter Löscher, président du groupe Siemens AG, l’a annoncé très clairement : « Le chapitre [nucléaire] s’est refermé pour nous ». Pour David Barroux, rédacteur en chef du quotidien « Les Échos » et d’autres, il serait « condescendant » d’y voir la conséquence du retournement allemand sur le nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima. Si effectivement, il serait réducteur de se focaliser uniquement sur cet aspect, il serait tout aussi réducteur de qualifier la décision de Siemens de visionnaire voire de « révolutionnaire » car révolutionnaire, elle n’est pas.

Pour s’en convaincre, il suffit de plonger dans le passé, non pas en mars lors des évènements de Fukushima, mais un peu plus loin au moment de la décision allemande de sortir du nucléaire prise par le gouvernement Schröder ainsi que sur les décisions prises par Siemens en matière nucléaire depuis quelques temps.

En premier lieu, la décision de sortie du nucléaire en Allemagne ne date pas d’hier, elle date de quelques années, le 14 juin 2000 précisément, lors de la signature de la convention de gouvernement entre la coalition rouge-verte alors au pouvoir et les exploitants de centrale. Tout y avait été déjà prévu : la date de sortie du nucléaire, les différentes étapes et échéances ainsi que les modalités de la montée en puissance des énergies renouvelables. Ce n’est qu’au terme d’une longue bataille au Parlement et dans la société allemande, que la décision de prolonger fut adoptée dans la douleur en novembre 2010. Il ne s’agissait pas d’hâter la sortie du nucléaire mais bien d’en revenir au calendrier initial. Dès lors, la décision perd beaucoup de son caractère révolutionnaire.

En second lieu, la décision de Siemens n’est pas le signe d’une anticipation visionnaire de l’avenir énergétique du monde mais tout simplement, une décision de gestion actant les erreurs passées de l’entreprise dans le secteur nucléaire. Fabriquant de centrales, l’entreprise Siemens avait noué en 2001, un partenariat avec le français Areva dans le domaine nucléaire dans la joint-venture Areva NP. Mais, les affaires étant les affaires, Siemens voyant le potentiel du marché russe, avait par la suite décidé de faire un enfant dans le dos de son allié en nouant un partenariat avec le russe Rossneft qu’il espérait plus profitable. Hélas, le français Areva découvrit le pot aux roses et renvoya promptement son partenaire devant les tribunaux allemands qui ne purent que constater l’écart de conduite de l’allemand et le condamner au paiement d’une pénalité de 639 millions €. Ce revers ne fut pas le seul et dans l’ensemble, Siemens accumulait les pertes dans le secteur nucléaire ces dernières années. La situation n’allant pas en s’arrangeant avec le revirement allemand, Siemens a tout simplement décidé d’arrêter les frais et de se retirer d’un segment de marché qui n’était plus rentable pour l’entreprise. Le contexte défavorable au nucléaire n’a que peu impacté les décisions de l’entreprise puisqu’encore une fois, la prolongation du nucléaire en Allemagne ne fut acté que fin 2010, quand les partenariats noués remontaient bien avant. Pour Siemens, le contexte suite à Fukushima a fourni un prétexte bien pratique pour masquer de mauvaises décisions opérationnelles passées et magnifier un peu les nouveaux investissements dans le secteur des énergies renouvelables. Une bonne gestion d’entreprise suppose aussi une bonne communication, ce qui est le cas ici pour Siemens.

« L’énergie est notre avenir… »
L’avenir du nucléaire est passé de radieux à incertain, ce qui se traduit à plusieurs horizons.

A court terme, évidemment que non ; la nature ayant horreur du vide, la place laissée par Siemens sera occupée par d’autres.

A moyen terme, aussi, les pays émergents qui sont les véritables acteurs du marché de l’énergie sont en pleine phase d’équipement et sont contraints de produire beaucoup, très vite, et pour longtemps. On le voit d’ailleurs très bien avec la Chine et l’Inde, pour ces pays, le nucléaire est tout simplement incontournable. Mais cela ne veut pas dire qu’ils négligent pour autant les énergies renouvelables. La Chine est le 1er producteur mondial de panneaux photovoltaïques mais ces derniers sont de médiocre qualité et à faible rendement. Même chose dans le secteur éolien avec une fiabilité très mauvaise. Cela ne les décourage pas et la Chine progresse. En Inde, le solaire est tout simplement incontournable car il permet d’électrifier le pays sans déployer un réseau coûteux en hommes et en entretien.

A long terme, les choses paraissent plus incertaines. Malgré des ressources en uranium déjà surexploités, rien ne dit que le marché ne continuera pas à se développer. Reste à savoir la place qu’il aura ? Probablement moindre puisque la pression à la hausse des prix de l’énergie conjugué aux économies d’échelle et aux progrès en termes de rendement, poussera à l’adoption d’énergies renouvelables. On peut donc raisonnablement penser qu’un retournement est possible, surtout après Fukushima.