Faire grève a-t-il encore un sens ? La grève peut-elle être inutile ? Ces questions, beaucoup se les pose actuellement. Si, historiquement la grève a été un moyen d’action globalement efficace entre les mains des travailleurs, plusieurs d’entre elles très récentes montre que l’exercice a ses limites et que loin d’améliorer les conditions de travail, il peut tout simplement le détruire et mener à une situation plus dramatique.
Parmi elles, deux grèves qui auront des conséquences durables dans l’esprit des français mais qui s’avèrent réellement préjudiciables pour les secteurs économiques dont elles relèvent.
Mauvais tirage pour la presse.
La semaine dernière, les employés de Presstalis (ex-NMPP) ont exercé une nouvelle fois leur droit de grève en bloquant les entrepôts de leur entreprise rendant impossible la distribution des grands quotidiens nationaux.
Motif de la grève : le syndicat du livre exige la titularisation d’une dizaine de personnes employées en contrat à durée déterminée (CDD).
Rien d’extraordinaire, ce motif étant une revendication fréquente des syndicats. Là où le bât blesse, c’est que la direction avait bien précisé que ces emplois visaient à répondre à un surcroit d’activité provisoire. Si la direction de Presstalis a bien pris soin d’avertir les représentants syndicaux, c’est que l’entreprise qui dispose d’un quasi-monopole dans le domaine de la distribution de la presse est dans une situation difficile. Pour y faire face, l’entreprise s’est lancée dans un immense chantier de modernisation en investissant et en mécanisant le processus de distribution pour s’adapter aux exigences à venir avec une place croissante du numérique. Conséquence de ces investissements, l’activité a augmenté temporairement pour le mettre en place sans qu’un emploi en CDI ne soit supprimé.
Bien que le syndicat du livre connaisse pertinemment la situation de l’entreprise, il a exigé le maintien de la dizaine d’employés temporaires en question. Décision complètement démagogique dans une entreprise plus encline à licencier qu’à embaucher. Dans le même temps, les grands quotidiens nationaux sont dans une situation très difficile. Faisant face depuis plusieurs années à une érosion de leurs audiences respectives, ils accumulent pour la plupart les dettes. Tous les quotidiens doivent se moderniser et investir pour relancer leur activité. Libération, par exemple, a investit dans une nouvelle formule plus riche en contenu et a gagné environ 20% de lecteurs depuis son lancement. Dans le même temps, la publicité revient timidement après avoir déserté la presse papier.
La santé de ce secteur est plus que fragile et cette troisième grève en un mois pénalisant les quotidiens. Résultat immédiat, une perte de recettes vitales pour la presse. Résultat à long terme, une baisse de diffusion. Alors que les quotidiens font tout pour tenter de la regonfler, ces grèves pour des raisons complètement démagogiques sont littéralement en train de tuer dans l’œuf le faible reprise que certains journaux ont réussi à conquérir au prix de lourds sacrifices. A terme, ce sont donc les emplois des distributeurs donc de Presstalis qui sont directement menacés.
Une grève inutile, inefficace et contre-productive qui risque de conduire à un autre extrême. Ainsi, le gouvernement pour être tenté de déréguler complètement le secteur de la distribution de la presse. Au lieu d’avoir un monopole avec des employés au statut très protégé, on pourrait obtenir un secteur soumis à une forte concurrence avec des statuts bien moins intéressants. Pas sur que les employés du livre en sortent gagnants.
SNCF. La grève sur une voie de garage.
Près de 2 semaines de galère, voilà ce qu’ont dû endurer les usagers du rail. La faute à une grève déclenchée par deux syndicats, la CGT et Sud. Les revendications, classiques, portaient sur l’emploi et les salaires, mais aussi sur l’avenir de l’entreprise. Bien compréhensibles, elles furent à l’ordre du jour de négociations entre les syndicats et la direction de la SNCF avant la grève. Ainsi, la CFDT qui avait la première posé le préavis de grève, a renoncé après avoir obtenu des avancées lors des discussions avec la direction. La CGT et Sud se sont enfermés dans un conflit dont ils savaient que l’impact serait limité.
Et effectivement, la grève dans le ferroviaire n’a pas gêné au point de paralyser le trafic. Pas de d’effet coup de poing, plutôt un poison à diffusion lente. Surmontable au début mais dont les relents se font sentir à la longue, un mal continu, cette grève n’a abouti sur aucun rien. La grève s’essoufflant, la CGT a saisi l’occasion de discussions bilatérales avec la direction pour annoncer que la grève était finie et les revendications satisfaites. Le syndicat Sud, qui estimait les propositions faites insuffisantes, a dû suivre devant la lassitude des cheminots grévistes. La direction de la SNCF estime que sa position (ne pas négocier tant qu’il y a grève) est gagnante.
Mais en réalité, il n’y aucun gagnant et des millions de perdants. Les voyageurs d’abord, aussi bien les occasionnels, qui ont eu à subir un mouvement pour les vacances ; que les habitués, qui eux prennent le train tous les jours pour aller travailler.
Les utilisateurs comprennent les revendications des cheminots, notamment sur l’avenir de l’entreprise et plus généralement sur les considérations en termes de moyens. Mais, ce qu’ils ne comprennent pas, c’est d’une part l’absence d’unité syndicale sur le sujet.
A court terme, personne n’est donc gagnant, l’avenir est lui compromis, nombreux étant les usagers à se poser clairement la question de ne plus prendre le train.
Autre point sur lequel les usagers sont d’accord avec les grévistes : la perte de sens de la « notion » de service public. Avec une qualité de service et une souplesse d’utilisation qui diminue, des dessertes qui disparaissent, l’intérêt en tant que service public perd de précieux atouts.
Au-delà, on peut aussi demander si les syndicats qui ont appelé à la grève que sont les CGT et Sud ne sont pas irresponsables. Il est évident que le droit de grève doit être respecté. Mais, quelle crédibilité accorder à des mouvements syndicaux qui ne cessent de réclamer la réaffirmation du caractère de service public de la SNCF, ne pas le voir appliquer.
Si la notion de service public a ses avantages (c’est ceux-là que l’on regrette) comme la souplesse au niveau de la billetterie, des prix attractifs, une priorité accordée aux dessertes et à l’entretien des matériels. ; elle a aussi ses devoirs. La continuité, l’adaptabilité en sont quelques-uns.
Aussi, alors quand l’Europe a fermé son espace aérien pour éviter un drame dû à des poussières volcaniques, les différents États et leurs entreprises ferroviaires ont tout fait pour transporter les naufragés du ciel par le rail. Parmi ces pays, la France s’est particulièrement distinguée. Les trains avaient beau être déjà chargés en temps normal, ils étaient cette fois débordés. Dans ce véritable marasme, les grévistes ont poursuivi le mouvement comme si rien ne se passait, enfermés dans une attitude partisane que bien des usagers n’ont pas compris. S’il y a bien un moment, où il fallait suspendre la grève et montrer que la notion de service public plus qu'un vague principe était encore une réalité, c’était bien pendant la fermeture de l’espace aérien. A la place, on s’est retrouvé dans une situation où on avait l’impression que les cheminots grévistes ne pensaient qu’à eux et qu’ils ne parvenaient pas à sortir de leur posture idéologique.
Conclusion.
Ces deux mouvements de grève laissent penser que la grève en elle-même n’a plus forcément l’efficacité qu’elle a pu avoir. Dans le contexte actuel de crise, elle peut même être la petite poussée qui fait tomber les choses. On se demande parfois si certains syndicalistes ont réellement conscience de ce qu’ils font en détruisant le capital sympathie qu’ils ont auprès de l’opinion. L’impression qui ressort est une cristallisation dans des certitudes, une volonté étonnamment conservatrice dans un contexte qui exige réactivité et concessions. L’objectif dans bien des cas n’est plus de savoir si les uns ou les autres vont conserver leurs « privilèges » selon les uns, leurs « acquis » pour les autres mais bel et bien la santé d’entreprises qui pour certaines ne peuvent se permettre une nouvelle grève sans risquer la faillite. On pourrait aussi évoquer le cas Seafrance, mais il semble que l’éruption ait compensée le manque à gagner de la grève durant la fin de semaine pascale.
Néanmoins, la question de la responsabilité des différents acteurs (syndicats ou patronat) est désormais clairement posée.
samedi 24 avril 2010
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