Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

samedi 14 août 2010

Nicolas Sarkozy a -t-il réussi son coup ?

Les récentes tentatives de Nicolas Sarkozy de distraire l'opinion en mettant l'accent sur un thème qui a jadis fait sa réussite ont-elles réussi ?


Ni vu, ni connu ?

C'est ce que semble penser David, mon homologue de Singulier démocrate dans un billet intitulé : « Les boucs émissaires de Nicolas Sarkozy » daté du 13 août 2010. Notre ami pense que la stratégie mise en place pour détourner l'attention de l'opinion publique française fonctionne et occulte les problèmes actuels que rencontre la Sarkozye. Il semble aussi penser que la droitisation de Sarkozy peut fonctionner.


L'éclipse.
Ce point de vue, je ne le partage pas. Si les articles de mon breton homologue sont souvent pertinents, je pense que sur ce point, il a tort.


Le contexte.

En premier lieu, pour des raisons contextuelles. Actuellement, la France est en état léthargique, elle tourne au ralenti (il suffit d'ailleurs de se balader dans Paris vers 20h pour le constater), elle sommeille. En conséquence, elle ne réagit pas ou peu. A l'heure où beaucoup de français sont partis en vacances se changer les idées, il me semble quelque peu hâtif de tirer de telles conclusions.



La couverture médiatique.
En deuxième lieu, les « boucs émissaires » ou plutôt les sujets sur lesquels Nicolas Sarkozy compte obtenir des résultats en matière sécuritaire, loin d'occulter l'affaire Béthencourt, ne sont qu'un feu de paille, un épisode certes accompagné d'un discours d'exclusion mais qui ne changera pas la réalité du terrain.

Après le sondage polémique du quotidien « Le Figaro » qui n'a pas étonné Jean-François Kahn, la couverture médiatique de l'affaire « Béthencourt-Woerth » ou plutôt « des » affaires ne fait certes plus la une, mais le sujet reste largement traité en pages intérieures et continue à faire l'objet d'encadrés en « une ». Rien que cette semaine, on relèvera que le quotidien « La Tribune » en a fait indirectement sa « une » lundi dernier. Mediapart a sorti une nouvelle information de taille sur le sujet. Le Canard enchaîné traite abondamment de la chose au travers de plusieurs articles tandis que Marianne y consacre aussi plusieurs papiers. Les autres grandes institutions de la presse traitent aussi du sujet. « L'affaire » n'a donc pas disparu, elle est seulement moins traitée. Toutefois, son importance est telle, les conflits d'intérêt si considérables, qu'elle plane toujours au-dessus de la tête des principaux protagonistes.

Et tout comme la lune ne fait qu'occulter temporairement la lumière du soleil durant une éclipse, les propos outranciers de Nicolas Sarkozy, et son virage qui fleurent bon le bleu foncé voir le brun, n'auront pas les effets escomptés par les conseillers du Château et risque de lui aliéner un électorat de droite conservateur mais qui tient aux grands principes républicains.



La fuite en avant.
En réalité, le discours de Grenoble, mûrement réfléchi vise à reprendre la main après la dérouillée subie aux régionales par la droite. Comme après chaque revers de la Sarkozy, la sécurité ou plutôt la communication sur la sécurité est vue comme un moyen de remonter la pente. Si cette option a pu connaître un succès relatif par le passé, elle ne va probablement réussir cette fois-ci. La raison ? Tandis que par le passé, Sarkozy apparaissait comme l'unique chef de la droite ou presque, il n'est plus seul actuellement.


Morin, qui n'a jamais eu le moindre charisme, est sous coupe réglée au ministère de la Défense, dans le « domaine réservé » au président de la République. La concurrence n'est donc pas à chercher du côté du Nouveau Centre. Mais alors qui ?
Pour obtenir des réponses, l faut chercher du côté des « historiques ».


Dominique de Villepin.
Dominique de Villepin, tout d'abord, qui ressuscité d'entre les morts dans son habit de martyr
(et bien qu'en attente d'être rejugé), a lancé le 19 juin (le lendemain du 70e anniversaire de l'appel du 18 juin, tout un symbole) son propre parti appelé « République solidaire » tout en renouvelant son adhésion à l'UMP.

Adoptant un positionnement conservateur traditionnel mettant en avant les valeurs républicaines et gaulliennes, Dominique de Villepin tente de récupérer les électeurs de droite désorientés par le discours sarkozyste tout en lançant une OPA sur ceux du centre-droit qui ne se reconnaissent pas dans le discours servile du Nouveau Centre ou dans le MoDem de François Bayrou.

Dernière idée de Galouzeau, créer un groupe parlementaire distinct de l'UMP à l'Assemblée nationale non seulement pour distinguer son parti de l'UMP mais aussi, et cela ne saute pas aux yeux à première vue pour obtenir des financements électoraux. L'intéressé se fixe un objectif de 20 députés, s'accordant ainsi une marge de sécurité face aux inévitables tentatives de sabotage que la Sarkozye ne manquera pas de mener.



François Bayrou.

Après la déroute des régionales et l'échec aux européennes un an auparavant, François Bayrou, qui avait envoyé Marielle de Sarnez pour tenter un rapprochement avec le PS, a dû constater l'échec de sa stratégie. Nouvel objectif pour le béarnais : reconquérir son positionnement du début du 1er semestre 2007, au centre-droit mais en soutenant quelques idées dites de centre-gauche voir de gauche sur certains grands sujets comme les libertés publiques ou l'enseignement.
La façon dont s'est déroulée la récente visite de Nicolas Sarkozy venu pour inaugurer une usine aéronautique dans la circonscription de François Bayrou permet d'ailleurs de dessiner à grands traits les contours de la stratégie que le président du MoDem ne manquera pas de préciser lors de son discours de clôture de l'Université de rentrée du parti centriste sur la Presqu'île de Giens.


Jean-Marie Le Pen.

Autre acteur qui empêchera Nicolas Sarkozy de réussir à rééditer ce qui a pu faire son succès, le renouveau du Front national. Ragaillardi par les scores réalisés aux régionales, l'historique président du Front national, actuellement en séminaire avec d'autres noms de l'extrême-droite internationale au Japon en compagnie du nippophile Bruno Gollnish, ne manquera pas de rappeler qu'il vaut opter pour l'original que pour la copie.


A la veille de sa sortie et de l'intronisation probable de sa fille cadette à la tête du Front national, Jean-Marie Le Pen et les idées d'extrême-droite ne se sont jamais aussi bien portées depuis longtemps.

Déçus par Nicolas Sarkozy qui annonce beaucoup mais ne fait que peu pour n'obtenir presque rien voir enregistrer des reculs, les électeurs à droite de l'UMP sont retournés dans les bras de celui qui ne concède rien sur ces idées. Jean-Marie Le Pen, aidé en cela, par le discours d'une droite tellement « décomplexée » qu'elle se met à organiser sur le modèle d'actions de groupuscules d'extrême droite comme à Orléans des apéros « pinard-saucisson
» ouvertement islamophobe.


Conclusion.

La période que nous traversons actuellement est d'un calme trompeur. Alors qu'en surface, il semble ne rien se passer, que l'on a l'impression que les affaires sont occultées ; dans les faits, il n'en est rien. Habitude bien ancrée, la France ne tourne que 11 mois sur 12 et ce n'est pas un cliché. Le flot médiatique ne fait que suivre l'usage. Mais derrière tout cela, en filigrane, chacun fourbit ses armes. A droite plus qu'à gauche, où l'odeur du sang attire vers l'ancien dominateur affaibli les opportunistes et les outsiders. Si aucun d'entre eux ne semble actuellement en mesure de remporter le grand prix, ils peuvent chacun de leur côté, faire perdre Nicolas Sarkozy, ce qui au final n'est pas si mal. Restera pour le vainqueur récupérant une France en ruines à tout reconstruire. Tâche qui s'annonce plus qu'ardue.

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