En marge d’un contexte plutôt chargé, le conglomérat Siemens, a annoncé qu’il entendait se retirer du secteur nucléaire ou
pour être précis, des pans d’activité du secteur uniquement dédié au nucléaire.
L’annonce n’est pas surprenante et était même prévisible pour l’allemand suite à ses récents déboires judiciaires.
Présentée comme un tournant majeur pour l’industrie par certains ou comme une
« révolution » par d’autres, la décision de l’entreprise doit être
remise en perspective à l’aune de plusieurs facteurs. L’autre volet soulevé est celle des potentielles conséquences de cette décision. Autrement dit, la France va-t-elle voir sa politique énergétique
changée ? Ce dernier point fera l'objet d'un second article.
Partir en restant.
Peter Löscher, président du groupe Siemens AG, l’a annoncé
très clairement : « Le chapitre
[nucléaire] s’est refermé pour nous ».
Pour David Barroux, rédacteur en chef du quotidien « Les Échos » et
d’autres, il serait « condescendant » d’y voir la conséquence du
retournement allemand sur le nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima. Si
effectivement, il serait réducteur de se focaliser uniquement sur cet
aspect, il serait tout aussi réducteur de qualifier la décision de Siemens de
visionnaire voire de « révolutionnaire » car révolutionnaire, elle n’est
pas.
Pour s’en convaincre, il suffit de plonger dans le passé,
non pas en mars lors des évènements de Fukushima, mais un peu plus loin au
moment de la décision allemande de sortir du nucléaire prise par le
gouvernement Schröder ainsi que sur les décisions prises par Siemens en matière
nucléaire depuis quelques temps.
En premier lieu, la décision de sortie du nucléaire en
Allemagne ne date pas d’hier, elle date de quelques années, le 14 juin 2000
précisément, lors de la signature de la convention de gouvernement entre la
coalition rouge-verte alors au pouvoir et les exploitants de centrale. Tout y
avait été déjà prévu : la date de sortie du nucléaire, les différentes
étapes et échéances ainsi que les modalités de la montée en puissance des énergies
renouvelables. Ce n’est qu’au terme d’une longue bataille au Parlement et dans
la société allemande, que la décision de prolonger fut adoptée dans la douleur
en novembre 2010. Il ne s’agissait pas d’hâter la sortie du nucléaire mais bien
d’en revenir au calendrier initial. Dès lors, la décision perd beaucoup de son
caractère révolutionnaire.
En second lieu, la décision de Siemens n’est pas le signe
d’une anticipation visionnaire de l’avenir énergétique du monde mais tout
simplement, une décision de gestion actant les erreurs passées de l’entreprise
dans le secteur nucléaire. Fabriquant de centrales, l’entreprise Siemens avait
noué en 2001, un partenariat avec le français Areva dans le domaine nucléaire
dans la joint-venture Areva NP. Mais, les affaires étant les affaires, Siemens
voyant le potentiel du marché russe, avait par la suite décidé de faire un
enfant dans le dos de son allié en nouant un partenariat avec le russe Rossneft
qu’il espérait plus profitable. Hélas, le français Areva découvrit le pot aux
roses et renvoya promptement son partenaire devant les tribunaux allemands qui
ne purent que constater l’écart de conduite de l’allemand et le condamner au
paiement d’une pénalité de 639 millions €. Ce revers ne fut pas le seul et
dans l’ensemble, Siemens accumulait les pertes dans le secteur nucléaire ces
dernières années. La situation n’allant pas en s’arrangeant avec le revirement
allemand, Siemens a tout simplement décidé d’arrêter les frais et de se
retirer d’un segment de marché qui n’était plus rentable pour l’entreprise. Le contexte
défavorable au nucléaire n’a que peu impacté les décisions de l’entreprise
puisqu’encore une fois, la prolongation du nucléaire en Allemagne ne fut acté
que fin 2010, quand les partenariats noués remontaient bien avant. Pour
Siemens, le contexte suite à Fukushima a fourni un prétexte bien pratique pour
masquer de mauvaises décisions opérationnelles passées et magnifier un peu les
nouveaux investissements dans le secteur des énergies renouvelables. Une bonne
gestion d’entreprise suppose aussi une bonne communication, ce qui est le cas
ici pour Siemens.
« L’énergie est
notre avenir… »
L’avenir du nucléaire est passé de radieux à incertain, ce
qui se traduit à plusieurs horizons.
A court terme, évidemment que non ; la nature ayant
horreur du vide, la place laissée par Siemens sera occupée par d’autres.
A moyen terme, aussi, les pays émergents qui sont les
véritables acteurs du marché de l’énergie sont en pleine phase d’équipement et
sont contraints de produire beaucoup, très vite, et pour longtemps. On le voit
d’ailleurs très bien avec la Chine et l’Inde, pour ces pays, le nucléaire est
tout simplement incontournable. Mais cela ne veut pas dire qu’ils négligent
pour autant les énergies renouvelables. La Chine est le 1er producteur
mondial de panneaux photovoltaïques mais ces derniers sont de médiocre qualité
et à faible rendement. Même chose dans le secteur éolien avec une fiabilité
très mauvaise. Cela ne les décourage pas et la Chine progresse. En Inde, le
solaire est tout simplement incontournable car il permet d’électrifier le pays
sans déployer un réseau coûteux en hommes et en entretien.
A long terme, les choses paraissent plus incertaines. Malgré
des ressources en uranium déjà surexploités, rien ne dit que le marché ne continuera
pas à se développer. Reste à savoir la place qu’il aura ? Probablement
moindre puisque la pression à la hausse des prix de l’énergie conjugué aux
économies d’échelle et aux progrès en termes de rendement, poussera à
l’adoption d’énergies renouvelables. On peut donc raisonnablement penser qu’un
retournement est possible, surtout après Fukushima.
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