Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

samedi 11 avril 2009

HADOPI ou comment confier la législation anti-drogue aux cartels de la drogue.



On peut les comprendre, les partisans de la loi Création et Internet dite HADOPI ont fait part de leur mécontentement. Parmi eux, Denis Olivennes ancienne PDG de la Fnac et maintenant directeur de la publication du Nouvel Observateur. L'intéressé a déclaré au journal Le monde qu'il "trouve cette péripétie consternante" et d'ajouter "Le plus accablant dans l'affaire, c'est que ce soit la gauche qui organise le sabotage. Or ce texte est profondément de gauche, parce qu'il défend les droits des artistes et des industries culturelles contre les industries des télécoms, qui pillent les œuvres des créateurs. Qu'a fait la gauche, quand elle était au pouvoir entre 1995 et 2002, contre le piratage? Rien! Quelle est sa formule alternative? Néant !". Des propos tout en retenue donc !
Mais l'individu poursuit : "La France est à la fois le pays en Europe qui a su le mieux préserver ses créateurs grâce au principe d'exception culturelle, et le pays qui est le paradis du piratage." M. Olivennes conclut: "Il y a une grande démagogie autour de la question du droit d'auteur. La gauche ne comprend pas le problème et la droite n'est pas convaincue du bien fondé de la loi. D'où cet événement pitoyable".
Passé la démagogie porfonde que l'on note dans ces propos, il convient de s'y attarder. L'individu reproche au Parlement de faire son travail à savoir discuter un texte. Texte qui n'est ni de gauche ni de droite, mais simplement liberticide, obsolète et innacceptable. M. Olivennes déclare que la gauche ne propose rien.

Déjà avec la loi DADVSI...
Déjà, lors des débats sur la loi DADVSI, les socialistes appuyé quelques députés centristes avaient par une manœuvre similaire adopté par amendement le principe de la licence globale. Le gouvernement UMP de l'époque avait dû décaler le texte pour supprimer cet amendement qui évidemment sabordait entièrement la loi DADVSI, loi qui a été massacrée par le Conseil constitutionnel pour ses diverses atteintes aux libertés fondamentales et qui n'a jamais été appliqués par les juges de l'ordre judiciaire, les internautes ayant changé leur mode de consommation de la musique avant même l'adoption de la loi et les maisons de disque elle-même devant abandonner les DRM face aux réalités du marché. Bref, là encore le gouvernement avait largement bataillé pour faire adopter une loi liberticide qui n'a pas été réellement appliquée.

Le mirage : la France, pays du piratage ! M. Olivennes déclare que la France est le pays qui pirate le plus et protège le moins les artistes. Encore une contre-vérité, j'invite promptement M. Olivennes à se rendre en Asie du Sud-Est et notamment en Chine pour voir que la France n'est nullement le pays roi du piratage. Ajoutons que le piratage étant illégal, il est très difficile de comptabiliser et de constater l'ampleur d'un phénomène par définition souterrain ! Comment compter le nombre de personnes qui piratent c'est impossible ! On peut à la limite disposer de données parcellaires mais c'est tout.
Encore une fois, la démagogie des propos de M. Olivennes est sidérante. Mais revenons sur la génèse du processus.


L'élaboration de la loi HADOPI ou comment confier la législation anti-drogue aux cartels de la drogue.
Revenons donc à la génèse du texte. Le président de la République, Nicolas Sarkozy voulait légiférer contre le piratage sur Internet. Précisons à ce stade que le président de la République n'utilise pas Internet ou très peu mais qu'il dispose de conseillers qui le font passer pour le président du numérique ce qui est un fait déjà problématique, mais poursuivons !
Le président de la République confie donc une mission à un homme Denis Olivennes, à l'époque président de la Fnac, 1er disquaire de France et grand vendeur de DVD. Sa mission est de trouver un accord entre les FAI (fournisseurs d'accès à Internet) et les créateurs surtout représentés par les majors. En somme, c'est comme si l'on confiait aux cartels de la drogue le soin d'élaborer la législation de lutte contre la drogue, ça s'annonce mal.
Les négociations commençent donc mais rapidement, ce qui devait arriver arriva, M. Olivennes sort un compromis favorable aux majors du disque. Les FAI râlent et claque la porte. On les fait revenir en leur promettant d'accélerer le dévellopement de la fibre optique et d'attribuer des licences dans la téléphonie mobile 3G à des conditions avantageuses. Évidemment, il n'en est rien et on les force à signer l'accord sous la contrainte ce qu'ils dénoncent alors que l'encre sur le compromis n'est pas encore sèche. L'accord est dans la même veine que la précédente loi DADVSI, ultrarépressive, liberticide et bafouant les droits les plus élémentaires dans toute démocratie.
Il organise une privatisation du pouvoir de détection des contrevenants qui le seront par les maisons de disque alors que normalement c'est la police qui exerce ces fonctions, ce qui nécessite l'accès à des fichiers nominatifs dont l'accès n'a pour le moment été autorisé qu'à la police antiterroriste dans certains cas. Le contrevenant se voit avertit 2 fois avant d'être amené devant l'HADOPI, autorité administrative donc sans juge, là il est présumé coupable de piratage et condamné; il n'a pas le droit de se défendre ni d'être présumé innocent ce qui bafoue dans l'ordre : la Constitution, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la déclaration universelle des droits de l'homme, la CEDH ou convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la loi, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ou PFRLR, les principes généraux du droit (PGD), etc.

Et les artistes là-dedans ?
Eh bien, là est le problème. Les partisans du texte invoque la protection de la création mais les créateurs n'ont pas été entendus. Le texte vise une protection du modèle historique du CD sur lequel les majors du disque se font des marges plantureuses, ne laissant que des miettes aux artistes. Or, la révolution numérique nous a fait revenir à une consommation au morceau moisn rentable pour les maisons de disque et à une consommation acrrue de concerts. Il suffit de voir que les tournées font le plein. Or, en temps de crise comme en temps normal d'ailleurs, les gens ont peu ou proue le même revenu. Si je dispose de 100€, je peux acheter 5 albums ou acheter quelques morceaux et aller à des concerts. Conséquence, je n'achète presque plus d'albums donc les ventes s'effondrent mais je consomme toujours autant de musique. Je consomme différemment puisque si je télécharge un morceau et que j'aime l'artiste, je choisirai d'aller le voir en concert au lieu d'acheter son album. Tel est le nouveau mode de consommation, certains artistes l'ont compris comme Prince ou d'autres groupes et gagne très bien leur vie.
Le téléchargement loin de contribuer à la décrépitude de l'industrie musicale constitue en fait un vecteur puissant de diffusion. A ce titre, une récente étude a montré que les internautes qui télécharge le plus sont ceux qui achètent le plus de disques, de DVD et sont ceux qui vont le plus dans des concerts. La réalité est donc loin du discours que nous tiennent les maisons de disque. Partant de ce constat, on peut voir que le principe de la licence globale est une des pistes qui permettrait de mieux prendre en compte cette nouvelle donne sociale et économique.
Les majors sont contre la licence globable car le nouveau mode de consommation réduit les marges des gros succès qui ont déjà largement été rentabilisés et annonce la fin de la méthode des compilations fortement rémunératrices pour ces mêmes maisons de disque. En même temps, ce nouveau mode de consommation permet l'emergence de nouveaux artistes qui n'auraient pas eu les moyens de percer dans l'ancien modèle.
Un nouveau mode de consommation émerge donc, reste à savoir quand les maisons de disque comprendront qu'elles doivent y passer ?


Les atteintes à la vie privée.
Est-ce une privatisation de la police ? Pour M. Olivennes non, on ne fait que remettre ce qui existe déjà. Cette disposition était déjà fortement critiquée mais là on franchit un nouveau pas. Donc, contrairement à ce que dit M. Olivennes, c'est bien une privatisation de la police puisque la détection des infractions est réservée à la police. Rappelons au passage que toute privatisation ne serait-ce que partiel du pouvoir de police est contraire à la loi et a été rappelé par le Conseil d'État dans sa jurisprudence.

L'atteinte au principe du contradictoire.
Pour M. Olivennes, non. L'internaute en infraction a le droit de discuter les sanctions et l'HADOPI pourra atténuer ce principe. Notons que cela présuppose que l'internaute soit coupable, on ne tient pas compte du fait que le WI-fi d'une personne peut être piratée et donc faire condamner un innocent. J'ajoute que c'est une autorité administrative largement soumise au lobby des maisons de disque, qu'il n'y a pas de recours au juge et que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire ce qui a pour conséquence de légèrement ignorer les droits de la défense.
M. Olivennes invoque aussi la possibilité d'agir en référé. Certes, mais étant moi-même juriste, je constate que la plupart des gens ne sont pas des experts du droit administratif. Comme le ministère d'avocat encore une fois n'est pas obligatoire, cela ferme cette possibilité à la plupart des gens. Et le différentiel entre les honoraires d'un avocat et le coût financier de la suspension de l'abonnement à Internet ne joue pas dans le sens d'une protection efficace du justiciable.
M. Olivennes déclare aussi que la personne pourra démontrer que ce n'était pas lui qui utilisait la connexion. Or, les relevés d'infraction se faisant sur la base d'adresse IP, élément immatériel, comment fait le quidam pour connaître son adresse IP à l'heure H au moment X, c'est impossible. J'y vois quelques obstacles : la plupart des gens ne disposent pas des connaissances informatiques suffisantes pour démontrer cela et ignore même ce qu'est une adresse IP. Et, cela instaure une présomption de culpabilité que l'on peut renverser. Mais encore faut-il renverser la présomption et ce n'est pas facile. La jurisprudence dans le domaine est suffisamment abondante. Démonter une présomption n'est une chose aisée et pour l'obtenir, le recours à un avocat est très fortement recommandé. Or, encore une fois, le ministère d'avocat n'est pas requis.
Enfin, les recours contre les sanctions ne sont possibles que lorsque la sanction a été prononcé ce qui interdit toute tentative pour stopper la machine à condamner. Et si vous tentez de vous opposer, les observations ne sont pas suspensives donc le recours n'est effectif or la Cour de Strasbourg CEDH ont insisté sur le fait que le recours ne doit pas seulement exister mais être réellement effectif c'est-à-dire réellement utilisable par le justiciable ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Comment développer des alternatives ?
Pour M. Olivennes, cele passe par la réduction du piratage, je l'ai développé plus haut, c'est évidemment faux. La loi DADVSI instaurait les DRM qui devaient développer le marché or le marché de la musique en ligne a rapidement vu son développement stoppé par l'existence des DRM. Il était impossible d'acheter de la musique chez Apple puis de la transférer sur son lecteur mp3 Sony. A moins, d'utiliser les techniques de piratage pour rendre cela possible. En résumé, l'intérêt d'acheter de la musique en ligne était très limité ce qui explique les maisons de disque ont rapidement dû abandonner les DRM. De la même manière, la solution de la licence globale va s'imposer tôt ou tard, reste à savoir si l'industrie va s'y adapter d'elle-même ou sous la force des choses.

Évidemment, l'avis de Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net est très largement différent de celui de M. Olivennes, et en tant que juriste et soutien de la Quadrature du Net, je ne peux qu'approuver les arguements objectifs invoqués par cette association.

Je vous épargne les propos tout aussi démagogique de Mme Albanel, ministre de la Culture qui semble découvrir ce qu'est la démocratie.

A noter que certains artistes et personnalités du monde du spectacle ont eu le courage de se mobiliser en lançant un appel que vous pouvez retrouver sur le site Ecrans.fr.

Pour faire ce billet, j'ai utilisé les entrevues accordées par Jérémie Zimmermann et Denis Olivennes sur le site du Nouvel Observateur.

J'ai aussi cité des propos qu'a tenu M. Olivennes au journal le Monde, dans une entrevue accordé au quotidien le 10 Avril 2009.

Je vous invite aussi à consulter l'entrevue que M. Olivennes a accordé au site Rue89.com.

1 commentaire:

Mapie a dit…

Super intéressante cette synthèse! Merci!