Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

mercredi 25 novembre 2009

« Je n’ai jamais quitté la banlieue ».

Il dit ne jamais avoir l’avoir quitté, mais pourtant on l’y voit peu. Il dit ne l’avoir jamais lâché mais il ne la connaît pas vraiment. Il voulait la nettoyer au Kärcher de la racaille et la délinquance n’a fait qu’augmenter depuis. ELLE, c’est la banlieue. Et, à écouter Nicolas Sarkozy, on se demande vraiment dans quel monde il vit. La banlieue, Nicolas Sarkozy avait promis d’y revenir lors de l’élection présidentielle. A l’époque, c’était sur la dalle d’Argenteuil. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts mais lui ne semble pas avoir changé.
Le hasard fait que cette année, je suis dans le cadre de mon Master II - Administration des collectivités territoriales, un séminaire concernant la police et la sécurité ce qui permet de voir avec un léger recul les inepties débitées en série par le premier personnage de l’État.


L’éternel ministre de l’Intérieur.
C’est devenu un classique, à tel point qu’il nous le ressert à chaque mauvaise passe dans laquelle il se trouve. Cette fois n’a pas échappé à la règle et la nasse dans laquelle se trouve Nicolas Sarkozy explique que celui-ci se raccroche à ce qui a fait ses heures de gloire : la sécurité.

Lors des élections européennes de cette année, rappelez-vous, il était allé en visite à Nice (la ville dont Christian Estrosi est maire) et avait déclaré vouloir « engager une lutte sans merci contre les voyous et les délinquants ». Sauf que, la réalité est qu’il a été ministre de l’Intérieur de Mai 2002 à Mars 2004 puis de Mai 2005 à Mars 2007 soit environ 3 ans et 8 mois. Et même quand il n’était pas place Beauvau, son ombre était toujours présente soit comme président de l’UMP quand il en a pris la tête soit au travers de la comparaison avec Dominique de Villepin.


Une visite éclair !
Rarement un terme n’aura été aussi valable pour qualifier une visite de notre président. En tout, l’intéressé a passé moins de 20 minutes à Épinay-sur-Seine, ville UMP et encore dans un commissariat municipal et pas dans au cœur d’une cité HLM. En tout, puisque cette escapade en « banlieue » s’est poursuivie par la suite, la durée totale dépasse à peine l’heure, montre en main, battant de loin le record établi par Jacques Mellick pour un Béthune-Paris. Manque de courage ? Le président s’est tout de même offert un bain de foule devant un public choisi. A charge pour les caméras de saisir cet instant surréaliste où des gens louaient l’activité du président sur le sujet se félicitait de lui avoir serré comme s’ils avaient pu approcher Dieu le père.

Enchainant les formules chocs, au moins une à chaque étape de son « Banlieue tour ». Notre président a ainsi mis en garde les voyous à Épinay : « tous ces messieurs qui ne travaillent pas et qui ont des belles voitures vont devoir s’expliquer ». Et de poursuivre par une énumération révélatrice des valeurs auxquelles il croit dur comme fer « Tous ceux qu’on [ne] prendra sur le fait, on les prendra par les éléments de train de vie, les voitures, les montres… ». Une remarque vient alors à l’esprit. Nicolas Sarkozy parlait-il de lui ?

Mais pas le temps de se reposer, et direction Bobigny où le président a visité une salle de commande de la sécurité de proximité. S’extasiant devant une Kalachnikov (fusil-mitrailleur), il ne semble pas être venu à l’esprit du chef de l’État de dire aux fonctionnaires présents qu’ils n'étaient pas là pour jouer au football avec les jeunes du coin. Bizarre !

Le tout, pour se diriger ensuite à Perreux-sur-Marne pour participer à une table ronde ; aux côtés de sa ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie et de son non moins connu ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux ; et vanter les mérites de la vidéosurveillance rebaptisée vidéo-protection pour tenter d’adoucir les réactions du public.

L’occasion aussi de promettre que « plus un jeune ne quittera l’éducation nationale sans qu’on sache ce qu’il devient ». Du déjà-vu, déjà-entendu qui ne trompe plus personne.


Les libertés fondamentales ravalées au rang de contraintes.
Déclarant « Notre objectif, c’est le tripler le nombre de caméras », Nicolas Sarkozy en profite pour dénoncer les « grands penseurs qui penseurs qui ne vont pas dans vos quartiers ». Là, on se demande clairement si c’est bien Nicolas Sarkozy qui a prononcé ces paroles car à Argenteuil, on l’attend toujours. On attend toujours aussi que les dispositifs de sécurité laissent les français approcher leur président et pour que ce dernier ne retrouve pas toujours devant une foule de partisans zélés.

Aux opposants à la multiplication des caméras, le président lance un traditionnel « Ceux qui sont contre, qu’ils l’assument devant la population ». Ainsi, pour notre omni-président, les opposants sont forcément des personnes qui encouragent la délinquance. Le débat apparait dès lors complètement biaisé. En réalité, c’est plus complexe que cela. En annonçant la multiplication des caméras sans offrir à la CNIL les moyens de contrôle adéquats pour qu’elle puisse contrôler cela, Nicolas Sarkozy lance une offensive sans précédent contre les libertés fondamentales dans la lignée des votes des lois HADOPI. Au pays des droits de l’homme, ça fait plutôt mauvais genre.

Avant de poursuivre : « Nous avons une responsabilité, c’est d’assurer la sécurité des français » puis de se décerner quelques lauriers « Il n’y a pas d’idéologie avec ça, mais des résultats et du pragmatisme ». Pour la première phrase, ce n’est pas une nouveauté, mais cela fait partie de nos textes fondamentaux depuis 1789 et la proclamation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Pour rappel, en voici l’article II :

« Article II -
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, LA SURETE et la résistance à l’oppression. »

Pour la suite, je confirme la sécurité ne doit pas être une question idéologique. Le principe d’une sécurité condition de la liberté a d’ailleurs été affirmé dans une loi de 2001 sous un gouvernement socialiste. Le concept n’est donc pas nouveau. Or, c’est précisément Nicolas Sarkozy qui en a fait une question idéologique ou tout du moins qui a incarné cette idéologie sécuritaire. Idéologie qu’il n’hésite pas à remettre sur le devant de la scène lorsqu’il en a besoin, et plus particulièrement comme lors de sa visite en « banlieue » ce mardi 24 novembre 2009.


Une nouvelle loi. Encore…
Nicolas Sarkozy se tromperait-il sur les fonctions du Parlement. On peut raisonnablement se poser la question ! C’est que depuis son élection, il a tendance à confondre à le confondre avec une imprimerie. Ainsi, comme il s’en prit maintenant l’habitude, notre président a annoncé cette fois, un toilettage de la législation sur les manifestations. A titre personnel, je pensais que cela avait été fait à l’occasion de l’adoption des dispositions anti-cagoule.


Réactions.
L’opposition ne s’est elle, pas faite attendre pour dénoncer les propos présidentiels. Ainsi, pour François Hollande interrogé par i-Télé et dont les propos ont été repris par Libération « Nicolas Sarkozy « tente de reprendre l’initiative » sur la sécurité «en allant en banlieue» alors que sa politique est, selon lui, «un échec» dans ce domaine: «ça fait des années que Nicolas Sarkozy laisse penser que, par un déplacement, il va régler le problème ».


En résumé.
Une promenade en banlieue mais pas trop longtemps, et encore dans des lieux ultra-sécurisés au cas où des français auraient l’outrecuidance de se plaindre de la politique gouvernementale, le tout en moins d’1h30 chono’, voilà comment Nicolas Sarkozy conçoit sa visite en banlieue. A l’évidence, il s’est trompé de banlieue. Peut-être le climat de Neuilly-sur-Seine serait-il plus réceptif aux diatribes sarkozystes ?


Notes :
- Photo : Nicolas Sarkozy lors d'une table-ronde sur la sécurité, au Perreux-sur-Marne, en banlieue parisienne, ce mardi (REUTERS/Eric Feferberg/Pool).
- Article du quotidien Libération.

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