Décidément, la gauche a une définition très spéciale de l’écologie. Hier, Alain Bocquet était avec le socialiste Pierre de Saintignon pour une manifestation contre la fermeture de la centrale d’Hornaing dont l’avenir est menacé à l’horizon 2013. En jeu, 87 emplois qui seraient menacés par la fermeture en question.
Pour comprendre les raisons de ce conflit et en quoi l’intervention des « barons » locaux de la gauche est non seulement électoraliste mais aussi hypocrite, il est utile de revenir sur la situation expliquant le conflit à Hornaing.
Le pourquoi de la fermeture.
La centrale d’Hornaing est une centrale thermique à charbon comme il en existe beaucoup d’autres en France. Au total, elle a connu jusqu’à 3 tranches électriques dont seule la 3e est encore en fonctionnement. Cette centrale sert surtout d’appoint lors des pics de consommation électrique. Mais voilà, la centrale est victime de sa nature. L’Union européenne qui est compétente en matière d’environnement a contribué à durcir les normes environnementales dans divers domaines dont l’eau et plus récemment les émissions polluantes. Ainsi, les communautés ont adopté une première directive GIC (grandes installations de combustion) en 1988, avant d’en adopter une nouvelle en 2001 remplaçant la précédente. Sans trop entrer dans les détails, cette directive fixe des plafonds d’émission pour les centrales de puissance supérieure à 50MW ce qui est le cas de la centrale d’Hornaing dont la 3e tranche a une puissance de 243MW.
Dans ce cadre, la centrale pour continuer à fonctionner doit rentrer dans la limite des seuils fixés. Tel n’est pas le cas, les émissions de la centrale crevant littéralement les plafonds règlementaires. Une mise à niveau étant trop chère voir impossible, la centrale devra donc fermer à l’horizon 2013. Mais dans le monde des affaires, les choses sont plus que mouvantes.
Petit rappel.
Pour comprendre l’histoire, il faut revenir quelques années en arrière. En 2006, E.On (un grand groupe énergétique allemand) a lancé une OPA (offre publique d’achat) sur Endesa (l’équivalent espagnol d’EDF). Après une intense bataille boursière, l’énergéticien allemand a dû jeter l’éponge sous les pressions protectionnistes espagnoles qui craignait le passage de l’électricien national sous pavillon germanique. E.On tenace n’a pas lâché le morceau si facilement et la bataille a duré 18 mois au total avant le retrait de l’allemand. Ce retrait ne fut pas gratuit puisque pour sa bonne volonté, l’allemand a pu acheter un portefeuille d’actifs en Europe et en Turquie pour environ 11,8 milliards d’euros. Dans le paquet cadeau, le contrôle de la Snet qui avait été rebaptisée Endesa France lors de son rachat partiel par Endesa et détient le contrôle de la centrale d’Hornaing. Filiale d’Endesa, la Snet avait une partie de son capital entre les mains de Charbonnages de France (aujourd’hui disparu) et d’EDF. Ces deux sociétés détenues par l’État ont profité du rachat de la Snet par E.On pour solder leurs parts dans la Snet contre des droits de tirage en Allemagne. Traduction : en échange de leurs actions dans la Snet, les deux groupes français ont obtenus des capacités électriques qu’elles peuvent commercialiser chez nos voisins d’Outre-Rhin.
Et ensuite ?
La dernière tranche à charbon devant fermer, les ouvriers ont fait grève une première fois afin d’obtenir des garanties pour leurs emplois. Le groupe allemand E.On avait alors annoncé suite à ce mouvement son intention de construire une centrale à gaz d’une puissance de 430 MW pour remplacer l’ancienne centrale à charbon. Problème, la crise est passée par là et la direction de l’électricien allemand a annoncé qu’elle gelait tous les projets d’investissement jusqu’en 2013 ce qui condamne de fait le site nordiste, la centrale devant être construite avant la fermeture de la centrale actuelle et les travaux de construction de la nouvelle centrale n’étant pas entamés.
Luc Poyer, président du directoire d’E.On France, a clairement annoncé que la décision de lancer ou non l’investissement dépend non seulement des besoins locaux mais aussi du coût de la centrale et de l’évolution des cours du gaz. Le prix de construction moyen d’une centrale à gaz à cycle combiné étant passé de 200 millions € en 2003 à 350 millions € en 2008 soit 75% d’augmentation. Dans le même temps, le prix du gaz aura tendance à fortement augmenter sur le temps long que constitue le cycle de vie d’une centrale à savoir entre 30 et 50 ans. Sachant qu’il faut environ 2 ans pour construire une centrale, n’en jetez plus.
Apprenant la décision, les employés de la centrale d’Hornaing se sont donc de nouveau mis en grève à l’appel de la CGT pour faire pression sur leur direction et exiger la réalisation de l’investissement promis et in fine, préserver leurs emplois.
Usine en danger, élections proches, la gauche accoure.
Les élections régionales approchent, une usine dont la fermeture est annoncée et dont le projet de remplacement est compromis ; ces éléments réunis, les chefs de file départementaux de la gauche accourent. Ainsi, les employés de la centrale d’Hornaing ont pu voir Pierre de Saintignon et Alain Bocquet leur faire des déclarations d’amour alors même qu’ils ne peuvent rien faire.
Petit florilège capturé par les caméras de France 3 - Nord-Pas de Calais le vendredi 19 février dernier :
« Nous sommes à vos côtés. A vos côtés à fond… », Pierre de Saintignon (PS).
« Bon courage, nous sommes à vos côtés et nous gagnerons », Alain Bocquet (PCF, Front de gauche).
Des discours prononcés lors de cette réunion de fin de grève qui a duré tout de même une semaine, les employés ne sont pas dupes : « C’est certain qu’on est en période électorale… Bon, ils se font un petit peu leur publicité mais ça fait vraiment plaisir d’avoir du soutien de leur part. Et puis, on est vraiment reconnaissant. » ou encore « C’est sur qu’il y a un enjeu pour eux. Mais il faut savoir que les votants c’est nous et s’ils travaillent pas pour nous… Donc ils auront la punition derrière, ça c’est clair ! »
Même les candidats avouent que la région ne peut rien faire ou presque. Ainsi, Jean-Jeacques Candelier, 11e liste Front de gauche déclarait : « C’est que ses pouvoirs financiers sont assez limités. Les grandes décisions viennent de l’État. Mais, mais, mais, le président et les élus des exécutifs régionaux peuvent mobiliser les élus et la population. ».
Pierre de Saintignon, tête de liste départementale du PS pour le Nord aux régionales, est plus langue de bois et n’hésite pas lui à promettre n’importe quoi. Qu’importe si la région ne pourra appliquer ses propos, le candidat socialiste résume sa position de ainsi : « Dialoguer avec les organisations syndicales, c’est ce que nous faisons. Les appuyer sur le plan économique et juridique si c’est nécessaire. Y compris s’il s’agit de financer des études économiques et les frais de justice qui s’accompagnent si nécessaire. Dialoguer avec les responsables de l’entreprise pour dire quelles sont les perspectives de ce site. ». Faire des études économiques, payer des frais de justice et demander à l’entreprise de bien vouloir réexaminer la situation des ouvriers, voilà qui est bien peu mais qui peut aussi être illégal.
Précisons tout de même que l’action économique dans la région, ça n’est que 8% du budget. Pour un exécutif régional et une majorité sortante qui dit soutenir très activement l’emploi, voilà qui a le mérite de rappeler les choses.
Un maintien provisoire.
Les ouvriers ont arraché un prolongement de l’activité jusqu’au 31 décembre 2015. Le hic, c’est que la directive GIC pose comme ultime date limite 2013 pour la fermeture ou la mise aux normes des installations dépassant les plafonds de pollution. Dans un contexte de Plan Climat au niveau de l’Union européenne, de Grenelle de l’environnement au niveau national et d’action volontariste pour prolonger l’accord de Kyoto, on voit mal comment l’État d’abord puis l’Union ensuite accepte le dépassement des délais fixés par la directive. Il convient aussi de rappeler que le Cour de justice de l’Union européenne n’hésite à sanctionner très lourdement les états gravement en retard dans la transposition des directives.
La signature d’un accord entre la direction d’E.On et les syndicats de la centrale sur le maintien de l’activité semble donc bien fragile puisqu’une visite décennale est prévue en 2013 et qu’E.On laisse trainer la mise aux normes de la tranche électrique actuelle. Du côté des salariés, on compte utiliser le sursis obtenu et pousser la direction de l’électricien à concrétiser ses plans d’investissement. On affirme aussi que la centrale est toujours viable et rentable. La direction, elle, reste évasive sur l’avenir de la centrale.
Une centrale viable ?
La centrale est-elle réellement viable ? Si on prend la situation actuelle et que l’on se projette un peu, oui. Si, par contre, on réalise une simulation dynamique prenant en compte les différentes évolutions, clairement non. La centrale est trop polluante et une mise aux normes coûterait trop cher par rapport à la durée d’exploitation potentielle (2 ans). Prolonger l’exploitation de la tranche au charbon en attendant la centrale à gaz ? Très difficile. Comme mentionné juste au-dessus, cela conduirait probablement à une violation des normes environnementales. A cela, va progressivement s’ajouter le coût des émissions de CO2 qui vont progressivement devenir payante avec la mise en place du marché carbone en Europe. S’ajoute aussi l’impact croissant de la future taxe carbone qui s’appliquera aussi au secteur de l’énergie et le coût des combustibles fossiles qui suit une tendance inflationniste.
A moyen et long terme, le prix du gaz et du charbon vont inexorablement augmenter c’est un fait. Il faut aussi savoir qu’au niveau européen, de nombreux députés poussent pour exclure les centrales à cycle combinés du champ des subventions pour les énergies dites « propres ».
En effet, il faut savoir que chaque foyer consommateur d’électricité paie sur sa facture d’électricité ce que l’on appelle la CSPE (contribution au service public de l’électricité) qui contrairement à ce que l’on croit ne finance pas que les éoliennes mais toutes les énergies renouvelables et les centrales à cycle combiné fonctionnant au gaz. La CSPE représente une somme très modeste sur les factures d’électricité de chacun. Bien que ce prélèvement vise à financer les énergies renouvelables, ce sont les centrales à cycle combiné qui mobilise une part très substantielle (plus de 70%). En supprimant les subventions publiques à ce type de centrale et en les réorientant uniquement vers les énergies renouvelables, on augmentera donc le prix du kWh thermique par rapport au kWh renouvelable. Il faudra aussi compter avec l’accroissement du rendement de l’éolien et du solaire.
Une écologie à géométrie variable.
Il est intéressant d’ailleurs de mettre en perspective les propos de messieurs de Saintignon et Bocquet avec les engagements en matière d’environnement. Pour Alain Bocquet, priorité à l’industrie, on reste dans les classiques du PCF. Par contre, pour Pierre de Saintignon, la situation est légèrement différente. Principal artisan des listes et du programme socialistes au niveau local, on ne peut noter que le gouffre qui sépare les différentes déclarations du 1er adjoint de Martine Aubry à la mairie de Lille. On peut ainsi lire dans le programme socialiste, la chose suivante figurant parmi les engagements mis en avant : « Poursuivre la course en tête des régions du développement durable et solidaire ».
Pour faire simple, M. de Saintignon promet d’un côté une région la plus respectueuse de l’environnement possible pour les élections régionales et dans le même temps promet de tout faire pour maintenir une centrale à charbon très polluante ouverte et engager la construction d’une centrale au gaz. Subtil raffinement, la centrale en question se situe en limite d’un parc naturel régional, celui de l’Avesnois en l’occurrence.
Et le MoDem ?
Si l’on a pas vu Olivier Henno rendre visite aux employés de la centrale d’Hornaing et promettre n’importe quoi pour se faire élire tout en disant en promettant la main sur le cœur d’être écolo, les démocrates ne sont pas insensibles à la situation. Mieux, au sein de la liste démocrate, nous connaissons les prérogatives de la région ce qui ne semblent pas vraiment être le cas de nos concurrents socialistes. Plutôt que de maintenir artificiellement une centrale polluante au sein d’un parc naturel et risquer de se faire condamner en justice suite à l’octroi de subventions dans des conditions limites de légalité, nous préférons utiliser l’argent des contribuables pour agir sur un levier à disposition de la région : la formation professionnelle.
D’ici 2020, la France devra installer entre 1 850/1 900 MW et 2 000 MW par an de capacités rien qu’en énergie éolienne. La région Nord-Pas de Calais est une des zones les plus favorables à leur installation grâce à sa façade maritime et plus généralement grâce à sa situation géographique. Les éoliennes se multipliant, il va bien falloir des personnes pour les construire et les entretenir. Notre région dispose de tous les atouts pour accueillir ces industries vertes : un réseau de ferroviaire et routier dense, des hauts-fourneaux et un savoir-faire qui n’est plus à démontrer. La région doit donc mettre en place des filières pour former des techniciens et adapter les travailleurs du secteur de l’énergie à ces industries d’avenir.
Il faut ne pas pour autant négliger l’importance du passé charbonnier de la région, il est grand temps de passer à des industries plus vertueuses et respectueuses de l’environnement. En favorisant les industries du renouvelables, la région a tout à y gagner et notamment en matière de santé où elle est 22e/22 en France métropolitaine. Améliorer l’environnement et la qualité de vie, c’est aussi diminuer les dépenses de santé.
Conclusion.
La réalité est celle-ci, la région ne peut pas faire grand-chose pour maintenir la centrale thermique d’Hornaing. Il est d’ailleurs complètement démagogique de la part du PS ou du Front de gauche de dire que les pouvoirs publics feront tout ce qu’ils peuvent. Les solutions sont limitées, la région peut jouer le rôle de facilitateur entre syndicats et directions ou subventionner l’entreprise. Subventions qui, soit rentrent dans le champ du régime des aides d’État, très sévère au niveau communautaire si elles sont destinées à l’entreprise; soit sont à la limite de la légalité s’il s’agit de prendre en compte les dépenses d’études économiques ou les frais de justice comme le suggère M. de Saintignon. Études inutiles puisque tous les aspects ont été déjà été étudiés par les industriels.
Plutôt que de défendre le maintien à tout prix d’une installation dépassée et polluante au sein d’une zone protégée pour son environnement, il apparaît plus important de concentrer l’argent de la région là il peut être efficace à savoir la formation professionnelle et l'attraction d'industries d'avenir. Pas de démagogie, des projets concrets, c’est l’état d’esprit du projet démocrate pour le Nord-Pas de Calais.
samedi 27 février 2010
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2 commentaires:
Les éoliennes ? Pas mal mais...
Certes le Nord (je dirais plutôt le Pas de Calais) a un bon régime de vent. Ceci dit, les besoins des consommateurs ne sont pas calqués sur les caprices d'Eole. Il faut savoir que lorsque les éoliennes du Jutland (34% de la puissance électrique totale installée au Danemark) ne peuvent plus tourner (défaut, mais le plus souvent excès de vent), les gentils écolos Danois font appel aux Allemands. Ceux-ci, ne voulant pas en rajouter dans les pluies acides (centrales charbon avec max de SO2) font appel aux méchants nucléaristes français qui (le plus souvent) ont de la puissance disponible.
Ce qui est fatigant, dans les discours écolos, c'est l'ignorance quasi-complète des lois régissant l'équilibre d'un réseau électrique. Pour mémoire et faire bref, l'électricité ne se stocke pas. D'autre part les citoyens, y compris ceux qui votent Verts ou Gründ ne sont pas prêts à changer radicalement leur mode de vie du jour au lendemain au motif que ceux pour qui ils votent n'ont jamais lu un bouquin de physique et/ou d'électrotechnique. Avant Lénine (et lui aussi) beaucoup ont dit : "les faits sont têtus". Pour l'électricité au niveau de l'interconnexion européenne, c'est particulièrement vérifié.
@Dédé73 : La France dispose de 3 régimes de vent complémentaires donc votre argumentation ne tient pas.
Autre point que l'on peut remettre en cause : l'importance du nucléaire français. Cet hiver a montré que la dépendance de la France à ce type d'énergie était plus que problématique.
L'électricité est difficile à stocker, c'est vrai mais des solutions commencent à se développer.
Il faut différentes énergies certaines compensant les autres, économiser l'énergie mais surtout, surtout mettre enfin les moyens en matière de recherche et développement pour les énergies renouvelables !
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