Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

jeudi 29 avril 2010

La tempête avant la tempête.

Nouveau jour de campagne dans la perfide Albion, une journée entre habitudes et surprises. A la veille du 3e et dernier débat entre les trois grands chefs de partis, on aurait pu croire que ce serait le calme avant la tempête et que l’on aurait à se contenter du rond-rond habituel. Au contraire, avant la tempête, c’est une autre tempête qui a éclaté.


Journée noire pour le Labour.
La matinée avait pourtant bien commencé. Le temps bien nuageux outre-manche laissait percer quelques éclaircies, la température était agréable sans être trop élevé, un climat agréable. Après l’habituelle conférence de presse de Lord Mandelson en direct de Westminster pour travailler le terrain, ce fut au tour d’Alistair Darling de donner la sienne en direct d’Edimbourg toujours sur la thématique de l’économie mais avec cette fois comme invité surprise la Grèce et sa situation désespérée au niveau financier puisque les taux à 10 ans ont dépassé les 10%. Traduction : un pays développé paie plus cher pour emprunter que les pays du Tiers-monde. Du pur délire !

Logiquement la plupart des questions ont porté sur la dette publique du Royaume-Uni, les opportunités de sortie de crise du pays. Les réponses du Chancelier de l’Échiquier se sont cantonnées à la réalité et à la reprise du discours travailliste du moment. Rien de réellement nouveau. Pas de quoi s’emballer, pas de quoi tout noircir. Un point négatif cependant, impossible d’entendre les questions des journalistes, ceux-ci étant sans micro. Un signe ?

La suite est un classique des campagnes électorales. Gordon Brown interpellé par une retraitée se disant sympathisante du Labour qui l’interpelle sur la question des services publics et mentionne l’immigration de travail des européens de l’est comme une des causes du chômage au Royaume-Uni. Le Premier ministre en campagne essaie de répondre à ses questions, de remettre les choses en place et précise que nombreux sont les britanniques à travailler ailleurs en Europe mais rien n’y fait celle dont on saura peu après le nom n’est pas convaincue. Un conseiller lui donne une tape dans le dos, signe qu’il est attendu ailleurs. Gordon Brown monte donc dans sa voiture en disant au revoir à tout le monde. Le problème est que le micro-cravate qu’il portait pour faciliter les prises de son pour les médias est resté ouvert.

Gordon Brown mécontent de la situation se laisse aller et donne son sentiment à son conseiller en déclarant qu’une telle rencontre n’aurait pas dû avoir lieu, que c’était une erreur et que la dame en question était une « bigoted » que l'on peut traduire par bornée. Cette conversation privée entre un chef politique et son équipe de campagne aurait dû rester secrète mais Gillian Duffy, à peine la masse des curieux reparti, reste un moment près de l’utilitaire de la chaine d’information en continue Sky News, et entend l’épisode sonore en question. Dégoutée, elle s’en va mais un journaliste de la chaine lui demande son avis. Évidemment la dame n’est pas contente. L’équipe et la rédaction de la chaine (qui appartient à Rupert Murdoch, connu pour ses positions très à droite) décident de diffuser les images accompagnées de la bande-son rapidement sous-titrées pour permettre de mieux suivre l’épisode en question. Puis l’emballement médiatique faisant son effet, chacun y va de son petit commentaire. Gordon Brown attendu ailleurs ensuite, ne répond pas tout de suite mais on sent bien qu’il sait avoir commis un impair. Reçu sur une radio, il est bien évidemment interrogé sur cet épisode après une rediffusion sonore de l’incident. Lors de cette rediffusion, Gordon Brown la tête dans les mains, est vraiment atteint. Il s’excuse publiquement. On saura ensuite qu’il a appelé Gillian Duffy et est revenu pour s’excuser personnellement. Un geste apprécié des voisins, c'est toujours ça de pris. En soirée, on apprendra qu’une lettre d’excuses a aussi été envoyée à tous les sympathisants travaillistes.

L’évènement est certes regrettable mais l’on en fait beaucoup trop autour de ce qui n’est rien qu’une erreur. Chacun a eu à affronter la situation que ce soit dans sa vie de tous les jours ou lors d’élections, nous devons rester polis avec des personnes qui ne nous apprécie pas forcément ce qui peut être réciproque. Gordon Brown s’exprimait à un conseiller et se lâchait un peu entre deux rendez-vous de campagne, cela arrive à tout le monde. Une campagne électorale n’est jamais une sinécure mais pour un technicien comme Gordon Brown, dont le charisme n’est pas le point fort, c’est un gros coup dur. L’épisode n’aurait même pas dû être rendu public. Maintenant, il s’est excusé, regrette vraiment ce qui s’est passé, il est temps de passer à autre chose. Mais voilà, maintenant que les médias se sont emparés de « l’affaire », on ne parle plus que de cela. Et, tout comme la dispute Bayrou-Cohn-Bendit sur France 2 a fait perdre des voix au MoDem, cette gaffe même suivie d’excuses risque de faire mal au Labour.



Des conservateurs discrets.
Ce mercredi, les conservateurs ont été plutôt discrets. Après un début de semaine en fanfare et la multiplication des « happenings ». Tout juste a-t-on pu écouter une intervention de George Osborne sur les banques et une pique de ce dernier suite aux évènements ayant eu lieu à Rochdale. Rien ou presque à se mettre sous la dent. Sans doute, les conservateurs ont-ils préféré les actions de terrain.



Les LibDems à la fête.
Si les sondages du début de semaine signalaient plutôt un tassement dans les intentions de vote envers les libéraux-démocrates. Ce mercredi leur a redonné la pêche. Nick Clegg allait à la rencontre d’étudiants à Oxford où il a été reçu comme une rock star sous les hourras. Il faut dire que les libéraux-démocrates ont bien des propositions très intéressantes pour les jeunes dans ce domaine. Ainsi, les LibDems proposent de réduire drastiquement les frais de scolarité pour les premières années à l’université. Les frais en question ayant considérablement augmenté avec Tony Blair atteignant plus de 4 000€/an dans certains cas pour entrer dans l’université publique et poussant de nombreux jeunes à s’endetter lourdement afin de pouvoir étudier.

Parmi les autres propositions pour le supérieur, les LibDems défendent une réforme du système de bourse pour rendre l’accès aux universités plus équitables. On distinguera aussi la volonté de développer fortement l’apprentissage et de favoriser l’accès aux études supérieures aux jeunes issus de milieu défavorisés. Des propositions pas franchement spectaculaires mais qui répondent à de réels besoins. L’apprentissage notamment est une réelle et forte demande que ce soit de la part des entreprises qui cherchent des jeunes diplômés disposant déjà d’une certaine expérience. C’est aussi l’occasion pour être de développer un partenariat de long terme avec l’apprenti et pour le fidéliser à l’entreprise. Un réel enjeu de société qui permet une meilleure insertion des jeunes dans le milieu du travail contribuant ainsi à réduire le chômage au sein d’une classe d’âge très touchée par le phénomène.

Durant la journée, Nick Clegg a aussi été suivi par une équipe de Sky news qui a pu recueillir ses impressions et lui poser quelques questions en fonction des évènements de la journée. Principal thème abordé : l’économie. A la veille d’un dernier débat crucial à ce niveau, la chose n’est pas surprenante. Plus étonnante, par contre, fut la réaction des journalistes qui reconnaissent aux libéraux-démocrates, un sérieux dans leurs propositions que n’ont pas les deux grands partis traditionnels comme en témoigne l’échange entre une journaliste et Nick Clegg dans le bus de campagne des LibDems. Tandis que la journaliste lui pose une question sur un sujet bien précis, Nick Clegg répond immédiatement. On lui demande alors les chiffres précis et les modalités de mise en œuvre des mesures en question. Nick Clegg répond alors : « C’est dans notre programme . Tenez, là, regardez. ». Il tend alors son bras par-dessus la banquette sur laquelle il est assis, saisit un exemplaire du « Manifesto », l’ouvre à la bonne page et montre à son interlocutrice que tout est bien détaillé, chiffré et prêt à être appliqué. En fin de reportage, la journaliste qui a aussi couvert les campagnes travaillistes et conservatrices, relève que de tous les programmes actuellement soumis au vote des britanniques, le programme libéral-démocrate est le plus sérieux. Un bon point donc ! On verra si Nick Clegg arrive à faire aussi bien lors du 3e débat.

Autre bonne nouvelle, les sondages du jour regonflent les voiles des jaunes. La dernière enquête ICM/ The Guardian donne les LibDems en tête à 39% (+5%) , suivis des Tories à 35% (-1%), le Labour arrivant 3e à 18% (-5%), les autres partis regroupant environ 7% (+1). A noter que l’enquête a été réalisée avant l’incident de Rochdale concernant Gordon Brown. Ce sondage fait ressortir un phénomène déjà pressenti auparavant mais qui s’accentuerait. Les LibDems se renforceraient largement au détriment des travaillistes. Si le sondage est marginal, c’est-à-dire qu’il porte sur les circonscriptions en ballotage pour les LibDems et la marge d’erreur de +/- 2,5%, la tendance générale est nette. Si les choses continuent ainsi, les libdéraux-démocrates parviendraient même à priver Oliver Letwin, auteur du programme conservateur de son siège à Westminster.

Ne pouvant espérer obtenir une majorité à la Chambre des communes, même si d’aventure ils arrivaient premier en voix au niveau national, les libéraux-démocrates donnent des sueurs froides à David Cameron en torpillant ses rêves de majorité.

Le second sondage du jour ne sera pas forcément important pour tous, mais il dénote une caractéristique déjà vu ailleurs. En 2007, on savait que François Bayrou avait massivement séduit les jeunes lors de l’élection présidentielle. Bien depuis ce temps, la plupart soient retournées à l’abstention ou vers le vote Europe-Écologie, on distingue un rejet profond chez les jeunes des partis classiques que sont le Labour ou les Tories. La volonté d’une alternative à un système considéré comme indapté et essouflé, combiné à des priorités programmatiques assumées sur l’environnement et la professionnalisation des études supérieures séduit une classe d’âge importante. Il faut en effet savoir que les 18-25 ans représentent 4 millions d’électeurs potentiels outre-Manche. En arrivant en tête des intentions de vote chez les jeunes, Nick Clegg séduit une frange de l’électorat fortement sujette à l’abstention.



Conclusion.
Entre polémique stérile et signes encourageants pour l’outsider, la campagne électorale se tend un peu plus chaque jour. Le 3e et dernier débat sera donc vital pour chacun des 3 chefs de parti. Pour Gordon Brown, il s’agira de faire oublier sa gaffe du mercredi et de montrer que s’il n’est pas un bon communicant, il est excellent dans le domaine économique. Pour David Cameron, il faudra prouver qu’il peut dépasser le carcan dans lequel il s’enferme et être capable de réalisme face à une situation d’urgence. Pour Nick Clegg, il faudra non seulement maintenir le capital confiance qu’il a pu acquérir mais aussi et surtout être offensif pour démontrer que seule une rupture majeure est capable de réformer le système et de sortir le pays de la crise profonde dans laquelle il est. Les échanges promettent d’être intéressants.

1 commentaire:

Nicolas Mauduit a dit…

Intéressante mise en perspective des petites phrases des politiques. On peut d'ailleurs noter que la dame aurait été qualifiée de "sectaire" selon les propos que j'ai pu entendre rapportés sur quelques média français, alors que comme vous le soulignez le terme a probablement une connotation complémentaire (l'intolérance restant le trait caractéristique de ce qualificatif).

J'en profite pour reposer ici une question proposée ailleurs via facebook, à propos du "I agree with Nick":

Un homme politique peut-il se saborder et mettre à mal son parti par une seule phrase, ou bien cette phrase est-elle l'émergence d'une faiblesse jusqu'alors contenue?