Dans sa dernière édition, le « Canard enchaîné » publie un article dont le titre se retrouve en une. Son titre « Un bouclier constitutionnel pour le boucler fiscal ». Il faut dire que le sujet est à la mode ces derniers temps. L’opposition revient une nouvelle fois à la charge et les parlementaires de la majorité, dont les oreilles bourdonnent de retour de leurs circonscriptions, envisagent désormais ouvertement sa suppression. Le palmipède pose donc une question en apparence anodine : peut-on supprimer le bouclier fiscal ?
Politiquement, un consensus semble se dégager. En pratique, la situation est plus complexe. Le « Canard enchaîné » rappelle à juste titre que le Conseil constitutionnel a déjà statuer deux fois sur le sujet, qu’il n’a rien trouvé à y redire. Mieux, le Conseil constitutionnel aurait fait de celui-ci un principe quasi-constitutionnel.
L’insubmersible bouclier fiscal.
Reprenant les décisions du Conseil constitutionnel, l'hebdomadaire satirique en déduit que les sages du Palais-Royal ont, en quelque sorte, sanctuarisé le bouclier fiscal. Et Hervé Martin, le journaliste auteur de cet article de citer à l’appui de son argumentation, les passages les plus parlants de décisions en question. Ainsi, on peut voir que le Conseil constitutionnel a approuvé la création du bouclier fiscal puis sa modification en invoquant la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 rappelant que la juste répartition de l’impôt ne doit pas « revêtir un caractère confiscatoire ». Dans le même esprit, le journal relève que le Conseil constitutionnel a validé le bouclier fiscal en invoquant le principe d’égalité devant les charges publiques, la situation d’alors s’apparentant à une rupture de l’égalité.
Et le palmipède de considérer le bouclier fiscal serait, malgré la volonté des différents acteurs, pas du tout évident à déboulonner ou « avec les plus grandes difficultés » selon un professeur de droit constitutionnel interrogé par le journaliste. Ce dernier précis pour finir que le Conseil constitutionnel pourrait toutefois revenir sur sa précédente décision « au prix de quelques contorsions qui font le bonheur des juristes ». Jugement péremptoire et peu flatteur pour les juristes mais qui prouve encore une fois que les journalistes ne sont pas des juristes et peuvent dire des bêtises, fusse collaborateur au sein d’un journal respecté.
Gravé dans le marbre ? Pas si sur…
« Le Canard enchaîné » estime que le bouclier fiscal sera plus difficile à déboulonner que prévu. Position compréhensible mais loin de la réalité. Le « gros cadenas » posé sur le dispositif n’est pas si gros que cela pour autant qu’il puisse exister. Le sémillant journaliste auteur de cet article, aussi brillant qu’il puisse être, se trompe en effet sur plusieurs points. Il mélange des aspects différents. Il cite à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel rappelant les dispositions textuelles justifiant les décisions prises mais ne précise que de façon assez floue qu’il s’agit de l’interprétation par le Conseil constitutionnel des dispositions en question et pas du texte en lui-même, ce qui est fondamentalement différent.
Le journaliste assimile ainsi le principe d’égalité devant les charges publiques à un principe constitutionnel ce qui est faux. Ce principe est certes important, mais n’est aucunement un principe constitutionnel qui aurait donc une valeur supérieure à la loi. Sa valeur est un peu moins importante : le principe d’égalité devant les charges publiques ou plutôt le principe de rupture de l’égalité devant les charges publiques est ce que l’on appelle en droit, un principe général du droit que l’on désigne plus communément sous le sigle de PGD. Et ce type de principe a une valeur inférieure à la loi. Pour être précis, sur l’échelle de valeurs classique, il se situe entre la loi (vis-à-vis de laquelle il doit se conformer) et le règlement qui doit se conformer au principe sus cité.
Pour préciser un peu plus les choses, il faut préciser que les PGD sont dégagés par le Conseil d’État (qui est l’institution suprême couronnant les juridictions administratives) et pas par le Conseil constitutionnel. En l’espèce, le principe de rupture de l’égalité devant les charges publiques fut dégagé par le Conseil d’État, bien avant que le Conseil constitutionnel n’existe, en 1938.
Le « bouclier constitutionnel », construction journalistique mais aucunement juridique, est bien plus fragile qu’il n’y parait. En appliquant la simple logique découlant de la hiérarchie des normes, on note que le principe en question ayant une valeur inférieure à la loi, il suffit que l’on change la loi (qui a une valeur supérieure) pour que la situation change. Une question compliqué à réaliser étant donné l’énergie que met l’Élysée à défendre ce « pêché originel du sarkozysme » mais pas impossible, un consensus existant chez une partie des députés de la majorité suffirait. Celui-ci combiné aux voix de l’opposition permettrait alors de dégager une majorité suffisante pour faire passer le projet.
Autre point invoqué : le caractère confiscatoire d’une imposition débarrassée sans bouclier fiscal. Ceci serait contraire à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Le Conseil constitutionnel en invoquant les dispositions de 1789 rendant difficile tout retour en arrière. Une question cependant me taraude : si le verrou est si solide, la protection si importante, les sages du Palais Royal l’auraient dégagé très tôt et auraient censuré toute disposition y contrevenant. Or, à ma connaissance, tous les budgets entre 1958 et 2004 ne comportant pas le bouclier fiscal n’ont pas été déclaré inconstitutionnels.
Conclusion.
La situation n’est pas si inextricable que le Canard enchaîné le laisse entendre. En réalité, en 2005, le Conseil constitutionnel a pris une décision d’opportunité qu’il a confirmé en 2007. Majoritairement composé de personnalités venant de la droite, il a tout simplement validé un dispositif qui sur le papier est parfaitement justifié. En théorie, donc, difficile de revenir sur un bouclier fiscal qui empêche que l’on paie plus de 50% d’impôts. Mais si le Conseil constitutionnel a précisé que l’imposition ne devait pas être confiscatoire, il n’a pas défini ce qu’était une imposition confiscatoire, pas plus qu’il n’a précisé de seuil. Sans savoir ce qui est confiscatoire et ce qui ne l’est pas, difficile de prendre position. Naturellement, on aurait tendance à considérer qu’au-delà de 50%, l’imposition est confiscatoire mais en 2005, ce seuil était fixé à 60% et encore avant il n’y en avait pas dans la loi.
Le Conseil constitutionnel a donc rendu sa décision en fonction des circonstances, du contexte. Or, rien n’est plus fluctuant. Le Conseil constitutionnel aurait parfaitement pu censurer le dispositif du bouclier fiscal pour les mêmes motifs pour lesquels il l’a validé. La toute récente étude de l’INSEE sur la fiscalité montre d’ailleurs que les plus riches ne sont pas ceux qui sont le plus imposé fiscalement.
Le constant n’est pas récent, les plus favorisés ayant les moyens de recourir à des fiscalistes et des avocats, ils profitent à fond des niches fiscales pour réduire leur imposition. Dans certains cas, celle-ci peut même être nulle. A cette réalité s’ajoute donc le bouclier fiscal qui permet aux plus aisés de se faire rembourser une partie de leurs impôts par l’État. Chèque moyen : 300 000€ par foyer fiscal. Coût annuel pour les finances publiques entre 500 et 700 millions € pour les finances publiques.
Le boulet fiscal peut donc parfaitement être supprimé sans rencontrer d’obstacles particuliers. Ajoutons que l’on voit mal le Conseil constitutionnel refuser la suppression d’un dispositif qui accroit les inégalités au lieu de les réduire. Surtout quand son créateur, à savoir Dominique de Villepin, demande sa suppression.
jeudi 8 avril 2010
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