Les pays membres de l’€uro s’acheminent-ils vers un fédéralisme budgétaire ? La question, ancienne, est brutalement revenue sur le devant de la scène politique européenne. Il faut dire que les atermoiements dans le règlement du problème de la dette grecque et leurs conséquences en ont fait réfléchir plus d’un. Après le « chacun pour soi », c’est le « sauve-qui-peut » qui a semblé l’emporter. Mais le problème est la solution ne peut être unilatérale comme les allemands et tous les pays membres de la zone €uro sont en train de s’en rendre compte.
Les fondamentaux de l’économie se sont donc rappelés aux bons souvenirs de la mémoire de nos dirigeants politiques de manière brutale mais peut être salutaire.
Une économie, c’est quoi ?
L’économie d’un pays, on aurait tendance à l’oublier sont des gens qui travaillent, des entreprises et un État qui intervient plus ou moins pour soutenir, réguler les relations entre les différents acteurs et faire qu’au final le tout fonctionne.
Pour agir dans le domaine économique, un État souverain classique dispose de deux principaux leviers : un levier budgétaire et un levier monétaire. Le budget de l’État via la fiscalité peut agir de différentes manières : soutenir l’activité quand elle faiblit via la commande publique ou en aidant les entreprises, embaucher des fonctionnaires pour offrir plus ou moins de services ou encore baisser les impôts, aider la population par des allocations…
Mais face à ce levier classique, il y en a un autre plus méconnu bien que tout aussi important : la monnaie. Un État, quelque soit son régime de change, peut décider de faire perdre de la valeur à sa monnaie en la dévaluant ou au contraire avoir une politique stricte pour garder une monnaie forte. Dans le 1er cas, il favorise les exportations ce qui permet de faire rentrer des devises étrangères dans le pays. Dans le 2e, il assure un cadre d’activité stable aux acteurs économiques la détenant et il réduit le coup des importations. Chaque situation a bien sur ses avantages et ses inconvénients, mais l’avantage d’avoir une monnaie forte est une plus grande crédibilité dans le domaine commercial car la monnaie que l’on possède a une valeur pour celui avec qui on échange. Celui-ci est certain que la valeur sera toujours plus ou moins la même ce qui rassure.
Quand un État est suffisamment habile, il utilisera les deux leviers de façon coordonné pour agir sur l’économie : créer les conditions de la reprise quand elle en récession, la freiner pour éviter qu’elle ne s’emballe quand elle croit.
Situation dans la zone €uro.
Mais en Europe, ou plus précisément au sein de la zone €uro, la situation est différente. Les États disposent du levier budgétaire mais pas du levier monétaire puisque les pays membres de la zone ont décidé d’avoir une monnaie commune. Pour passer à la monnaie unique, il a fallu une certaine convergence économique et budgétaire. Mais pour que la zone soit viable, il faut à long terme que les différents acteurs de la zone respectent des règles strictes.
Les États ne peuvent donc agir sur l’économie qu’avec leur budget, la monnaie étant à la charge d’une banque centrale indépendante : la BCE. L’économie ne peut fonctionner avec un seul des deux leviers, il faut que ceux-ci s’équilibrent pour partager les efforts. Or, dans la zone, s’il n’y qu’un levier monétaire, il y a 16 budgets. Budgets qui ne tirent pas tous dans le même sens mais n’agissent que dans l’intérêt national.
Certes, il y a un budget communautaire mais celui-ci ne représente environ 1% du PIB de la zone. A titre de comparaison, le budget fédéral américain représente environ 30% du PIB local. Autrement dit, comme un il n’y a pas de réel budget commun, les pays doivent coopérer étroitement. Le PSC, pacte de stabilité et de croissance, avait justement pour but de créer cette coopération budgétaire. Mais rapidement, les deux principaux membres de la zone ont largement outrepassé les règles fixées : ces pays sont la France et l’Allemagne. D’où un assouplissement provisoire obtenu par ces pays pesant plus de la moitié de la zone et un affaiblissement supplémentaire de la déjà maigre coopération monétaire. Mais pas question pour les États d’accepter une intégration plus poussée en matière budgétaire qui occasionnerait une perte substantielle de souveraineté dans un des rares domaines dont ils ont encore l’entière maitrise ou presque.
La crise financière, puis économique et enfin le tout récent épisode grec ont montré que la situation n’était plus tenable. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, étant obligé de sermonner directement les dirigeants pour qu’ils agissent afin d’éviter la contagion éventuelle à l’économie américaine. D’où l’idée de la Commission européenne de soumettre les budgets en préparation de chacun des États membres à la Commission et aux autres États membres de la zone avant leur adoption devant les Parlements nationaux.
L’Union économique, enfin ?
Devenu au fil du temps, une Union monétaire plus qu’une Union économique et monétaire, la zone €uro s’est fragilisée d’elle-même, les États-membres de la zone étant incapables de s’entendre sur une politique commune ou au moins quelques orientations communes en matière budgétaire.
La Commission si longtemps amorphe et inactive, commence à donner signe de vie au milieu des décombres de l’économie grecque et alors que la zone était sous menace d’un arrêté de péril imminent. José Manuel Barroso mettait enfin les pieds dans le plat, le mercredi 12 mai 2010 : « Les Etats membres doivent avoir le courage de dire s’ils veulent une union économique et monétaire ou pas. S’ils ne veulent pas d’une union économique, alors il faut oublier l’union monétaire. »
On en revient donc à la base : pour une union monétaire solide et pérenne, il faut une coordination budgétaire renforcée et réelle. Jean Quatremer rappelle d’ailleurs dans un article sur le sujet que déjà, la question avait été abordée avant même la signature du traité de Maastricht. La France ayant même suggéré en collaboration avec Jacques Delors que le Conseil des ministres puisse retoquer d’autorité un budget national ne respectant pas « les grandes orientations de la politique économique [commune] ». Remarque de Jean Quatremer : « Berlin s’étrangle, estimant que Paris s’assoit un peu vite sur les Parlements nationaux. Le pacte de stabilité et de croissance doit, dans son idée, suffire à contraindre les Etats à respecter la stabilitätkultur à l’allemande ».
C’est pourtant oublier la tendance bien méditerranéenne à contourner l’État et à s’arranger avec la loi. En pratique, le pacte de stabilité a rapidement explosé et quelques États n’en ont pas fait grand cas. Citons au hasard : la France et l’Italie, deux des principaux membres de la zone.
Furieux, nos voisins d’outre-Rhin qui eux, ont tout fait pour se conformer au pacte en s’imposant un bonne cure d’économies, ont donc laissé la Grèce s’enliser mais face à la situation ont été contraint de réagir.
Mais en contrepartie, du gigantesque plan pour sauver la zone €uro. On parle ici de 750 milliards € soit l’équivalent de la richesse produite en un an par la Corée du Sud. Les États semblent enfin décider à agir. Ainsi, l’idée suggérée par la Commission de soumettre leurs budgets des pays membres de la zone pour avis avant leur adoption et dont nombre d’observateurs pensaient qu’elle allait directement passer à la poubelle a été accepté dans son principe par le Conseil des ministres des finances de l’Union en début de semaine.
Pour Barroso : «La politique économique d’un pays n’est pas seulement une affaire nationale, c’est une question d’intérêt commun », le président de la Commission prend enfin la mesure du problème en insistant sur la nécessité de réintroduire des sanctions qui ont quasiment disparu avec la réforme du Pacte de stabilité. Il insiste : « sans sanction, on ne sera pas crédible ».
Reste à trouver une sanction efficace qui fasse consensus. Et pour le moment ce n’est pas gagné. La commission propose des classiques avec la suspension du versement des fonds européens et des amendes, l’Allemagne préconise, elle, la suspension des droits de vote de l’État en question au Conseil.
Conclusion.
Au final, l’épisode grec a enfin fait prendre conscience aux États-membres de la zone €uro et plus généralement de l’Union européenne de l’impossibilité d’en rester au statu quo. Qu’on le veuille ou non, nous nous dirigeons vers un fédéralisme budgétaire donc à une perte de souveraineté en la matière. Le dernier bastion duquel l’Union était presque exclue cèdera, c’est certain. Et tous les États même les plus récalcitrants s’y mettront, la raison est simple : nous n’avons pas le choix. Entre une perte de souveraineté et la survie, le choix est vite fait. Mais pour en arriver là, il aura fallu plus de 20 ans et la plus grave crise économique et financière que l’on ait jamais connu. Le prix est élevé et il est temps que nos dirigeants renoue avec l’Europe des visionnaires des débuts. Il est temps d’avancer !
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