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jeudi 10 février 2011

Tribune de Guy Verhofstadt sur la Gouvernance européenne.

Dans son édition du mercredi 09 Février 2011, le quotidien économique « Les Échos » publie une tribune de Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge et président du groupe ADLE au Parlement européen.

Dans ce texte, Guy Verhofstadt défend l'idée que la France et l'Allemagne ne doivent plus faire cavalier seuls en matière de gouvernance européenne et se doivent elles aussi respecter le traité de Lisbonne. Il insiste aussi sur le fait que le couple franco-allemand ne doit pas seulement être source de propositions mais aussi qu'il doit cesser d'être un frein pour l'Europe quand ses intérêts sont en jeu.

Il démontre encore une fois que l'Europe est un intérêt supérieur à la somme des intérêts individuels. Voici sa tribune :

« Gouvernance européenne : à la recherche du temps perdu

Ainsi donc, vendredi dernier, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se sont poliment mais fermement vu opposer une fin de non-recevoir par leurs homologues du Conseil européen à leur projet de pacte pour la compétitivité. Le contraire aurait été surprenant ! Qui pouvait imaginer que des chefs d'Etat et de gouvernement allaient se faire dicter leur politique économique par un directoire franco-allemand, et pour tout dire surtout allemand, le document initial étant écrit dans la langue de Goethe ? Sur le fond, pourtant, c'est bien la première fois qu'on sort enfin de l'hypocrisie pour dire les choses clairement. Oui, une politique économique commune doit reposer sur des indicateurs partagés de compétitivité (coût du travail, âge de la retraite, fiscalité), sur la stabilité budgétaire et sur l'investissement en matière de recherche, d'éducation et d'infrastructure. Il aura fallu attendre un an après le début de la crise obligataire et les asymétries qu'elle a révélées dans le développement économique et social de la zone euro pour que ces évidences apparaissent dans un document officiel. De ce point de vue, je dis « merci Angela, merci Nicolas ». Mais j'ajoute aussitôt : « Mais pourquoi avez-vous gâché l'occasion d'ouvrir sérieusement le débat ? »

Car tout est une question de méthode. Effectivement, nous devons aller vers une politique économique commune. Mais l'Union européenne est un Etat de droit, dont tous les membres sont représentés à proportion au Conseil et au Parlement européens, et dispose d'un commissaire à la Commission européenne. Je sais qu'à Berlin ou à Paris on méprise la Commission et le Parlement, mais figurez-vous que dans la plupart des autres Etats membres le contrat de mariage avec l'UE repose sur cette prémisse : il existe des institutions européennes, et c'est à elles qu'il incombe de proposer et de décider. C'est la règle du jeu, et si l'Allemagne et la France se sont fait rabrouer, c'est moins pour les idées qu'elles avançaient que pour leur manière cavalière de violer la lettre et l'esprit du traité de Lisbonne.

« Bien sûr, me dira-t-on, mais où sont les propositions de la Commission européenne ? » Certes, j'ai souvent moi-même condamné l'inertie de José Manuel Barroso, imposé à cette fonction, dois-je le rappeler, par la France et l'Allemagne. C'est vrai que pendant longtemps ce dernier a bridé d'avance toutes les initiatives par crainte qu'elles ne se heurtent à l'opposition des « grands pays ». Reste que, peu à peu, sous la pression notamment du Parlement européen, la Commission fait preuve de quelques fulgurances. Qui a proposé la stratégie UE 2020 pour régler le problème de la compétitivité européenne ? La Commission. Et qui fait en sorte qu'aucun des indicateurs de compétitivité ne soit contraignant ? La France et l'Allemagne ! Qui a proposé une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés ? La Commission, dès 2006. Et qui se décide enfin à prendre au sérieux ce débat ? La France et l'Allemagne ! Qui propose une réforme ambitieuse du Pacte de stabilité avec des sanctions automatiques contre les mauvais élèves budgétaires ? La Commission. Et qui s'acharne à affaiblir le dispositif ? La France et l'Allemagne ! Si la France et l'Allemagne, mais d'autres Etats membres ne sont pas non plus exempts de critiques, avaient laissé nos institutions communes travailler, nous n'en serions sans doute plus au lancement du débat sur la gouvernance économique, mais déjà en pleine négociation.

Cette constance dans la recherche du temps perdu a trouvé lors de ce Conseil européen une nouvelle illustration avec la myopie franco-allemande sur la réalité de la crise obligataire. La création d'un marché obligataire unique est un impératif. Les marchés ne veulent en effet pas moins d'Europe, mais plus d'Europe, c'est-à-dire de la visibilité pour la sécurité de leurs investissements. Ainsi que les démocrates et libéraux européens le réclament à cor et à cri depuis des mois, le Fonds européen de stabilité financière doit s'appuyer sur des euro-obligations mutualisant les dettes souveraines des Etats membres de la zone euro dans la limite des critères d'endettement prévu par le traité. Que répondent la France et l'Allemagne en substance ? « On verra. » Cette stratégie de joueur de poker est mortifère car les traders sont de bien meilleurs joueurs que les hauts fonctionnaires des ministères des Finances. Nous proposons, à l'occasion du grand débat qui va s'ouvrir sur l'avenir du budget européen, que la Banque européenne d'investissement puisse émettre des obligations de projet, permettant aux citoyens européens d'investir et de parier sur le développement de notre bien commun : l'Europe.

Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge, préside le groupe de l'Alliance des démocrates et libéraux pour l'Europe au Parlement européen. »

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