Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

mercredi 24 novembre 2010

Parquet français. Heureux arrêt Moulin.


Dans un nouvel arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la France s'est une nouvelle fois illustrée pour le manque d'indépendance donné à son parquet. Après un premier arrêt Medvedyev en mars 2009 où la France avait été condamnée pour ce motif, dont elle avait fait appel devant la Grande chambre. Il semblait aux yeux de certains observateurs qu'elle avait au moins obtenu un sursis, l'arrêt de la Grande Chambre ayant atténué la portée du 1er arrêt Medvedyev. A l'époque, les faits concernaient la détention d'un ressortissant ukrainien sur un navire marchant arraisonné pour trafic de stupéfiants en haute-mer ce qui avait justifié l'impossibilité de le présenter immédiatement à un magistrat, le temps de remorquer le navire jusqu'au port de Brest.

Dans le cas de l'arrêt Moulin, une avocate était soupçonnée d'avoir livré des informations à son client sur la procédure en cours, acte répréhensible suite à l'adoption de la loi Perben II, très critiquée alors l'ensemble des acteurs judiciaires.


Les faits.
Dans le cadre d'une procédure relative à un trafic de stupéfiants, Me France Moulin, avocate représentant un des prévenus est accusée d'avoir violée le secret de l'instruction, révélant à son client des informations qu'il n'aurait pas du savoir et qui pouvaient influer sur l'affaire. Une procédure est donc ouverte à son encontre pour ce motif. Placée en garde à vue, Me France Moulin ne peut voir un avocat immédiatement. Prolongée de 24 heures, Me Moulin n'en est pas pour autant libérée à la fin de celle-ci et reste encore emprisonnée pendant 3 jours avant d'être présentée à un juge et être interrogée et mise en examen. Puis, après décision du JLD (juge des libertés et de la détention), elle est placée en détention provisoire.


La décision de la Cour.
La décision des 7 juges présents condamne la France sur deux points essentiels qu'elle juge contraire à l'article 5§3 relatif au droit à la liberté et la sûreté :
« Article 5 § 3 :
Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe
1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

- la manque d'indépendance de son parquet dont les représentants ne peuvent être considérés comme remplissant les critères exigées pour être qualifiées d'autorité judiciaire ou en clair, de magistrat ;

- la durée excessive et les conditions de la garde à vue de Me Moulin. En effet, cette dernière avait été placé en garde à vue pendant 24h comme le prévoit le régime actuel (de nouveau censuré récemment par la même CEDH) puis celle-ci avait été prolongé de 24h par le procureur adjoint de Toulouse (dont la Cour a précisé qu'il ne présentait pas les conditions nécessaires pour être qualifié d'autorité judiciaire).

En l'espèce, le gouvernement français estimait que la période pendant laquelle Me Moulin avait été retenue était composée de plusieurs garde à vue, tandis que Me Moulin arguait, elle, que cette période devait être comprise comme n'étant qu'une seule et même période et donc, qu'elle était manifestement illégale.

Le meilleur reste toutefois dans la position de la Cour où elle précise qu'elle juge par rapport au droit européen et qu'elle ne souhaite pas intervenir dans le débat français. En réalité, comme le droit national a une valeur inférieure au droit européen, la Cour juge, de facto, que le système français est loin de présenter les garanties suffisantes. Mais trêve de paroles, voici la savoureuse formulation de juges de Strasbourg :

« La Cour a déjà jugé qu’une période de garde à vue de plus de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire était contraire à l’article 5 § 3 ».

L'arrêt auquel fait référence la Cour date de 1988. Le Gouvernement français savait donc pertinemment que la garde à vue de Me Moulin ne remplissait les garanties exigées.

Ensuite, après avoir constaté : « qu’en France les magistrats du siège et les membres du ministère public sont soumis à un régime différent. Ces derniers sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice, donc du pouvoir exécutif. A la différence des juges du siège, ils ne sont pas inamovibles et le pouvoir disciplinaire les concernant est confié au ministre. Ils sont tenus de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui leur sont données dans les conditions du code de procédure pénale, même s’ils peuvent développer librement les observations orales qu’ils croient convenables au bien de la justice. »

Puis : « Il n’appartient pas à la Cour de prendre position sur le débat concernant le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public en France, ce débat relevant des autorités du pays. La Cour ne se prononce en effet que sous l’angle de l’article 5 § 3 et la notion autonome d’ « autorité judiciaire » au sens de cette disposition et de sa jurisprudence.

Or, la Cour considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif ; l’indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérente à la notion autonome de « magistrat » au sens de l’article 5 § 3. »


Quelles conséquences ?
Cet arrêt déjà retentissant puisqu'il remet en cause l'organisation de la justice judiciaire française et enfonce encore un peu plus le régime français de la garde à vue s'inscrit dans un contexte...
particulier.

Tandis que depuis quelques mois, voire années, Nicolas Sarkozy a affiché sa volonté de dépénaliser le droit des affaires et de supprimer le juge d'instruction en confiant toutes les enquêtes aux procureurs, la CEDH condamne précisément le statut des procureurs, celui-ci ne présentant pas les garanties suffisantes pour garantir une procédure « équitable ».

Cette décision intervient aussi en plein développement d' « affaires » touchant de très près le pouvoir comme l'affaire Woerth-Bettencourt où le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye surnommé « Courroye de transmission » en raison de ses liens d'amitié assumés avec le président de la République a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter que l'affaire en question n'atterrisse entre les mains de juges d'instruction. Il ne faut pas oublier qu'il a aussi joué ce rôle dans d'autres dossiers tout aussi problématiques.

N'oublions pas aussi que le lien entre l'affaire Clearstream et le « Karachigate » puisque les enquêtes se retrouvent liées en de nombreux points.

Dans ce contexte de « réformite aigüe » qui marque notre président, nul doute que le tout nouveau Garde des Sceaux Michel Mercier, qui s'était opposé à la réforme de la carte judiciaire, aura à cœur de mettre sur la table des propositions crédibles afin de remettre le système à plat.

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