Riposte graduée ? - La Quadrature du Net

mercredi 27 avril 2011

Pauvre Hongrie !

Dernièrement, le lundi 18 Avril 2011 pour être précis, le Parlement hongrois a voté l'adoption d'une nouvelle constitution. Cette constitution, surnommée « constitution Orban », puisque rédigée selon les prescriptions de l'actuel Premier ministre hongrois. Selon ce dernier, l'adoption d'un nouveau texte fondamental était devenu nécessaire puisque la précédente constitution datait de l'ère communiste. En effet, sauf que derrière cet apparent progrès, la nouvelle constitution hongroise constitue en réalité un formidable recul pour la Hongrie et ses habitants.


Contexte.
Mais Viktor Orban n'en est pas à son coup d'essai. Déjà en février dernier, il avait fait adopté un texte très restrictif sur la liberté de la presse rendant, de facto, cette liberté bien étroite et la censure bien présente. L'adoption de ce texte et même sa simple présentation devant la chambre basse hongroise avait soulevé une vive émotion en Europe et dans le monde. Et ce, d'autant plus que la Hongrie exerçait la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. La Commission européenne, en tant que gardienne des traités, avait certes mis du temps à réagir mais avait rappelé à la Hongrie qu'en tant que membre de l'Union Européenne, le pays se devait de se conformer à la Charte des droits fondamentaux annexée au traité de Lisbonne et à laquelle ce traité conférait force obligatoire. Le gouvernement hongrois avait finalement dû reculer et adopter de nouvelles dispositions pour se mettre en conformité avec le droit communautaire. Au besoin, la Cour européenne des droits de l'homme s'en serait mêlé puisque la jurisprudence de la Cour est sur ce point très stricte. La France en faisant d'ailleurs régulièrement les frais.

Nouvel épisode donc avec l'adoption de cette constitution qui constitue un recul énorme pour le pays. Mais comment un tel texte a-t-il pu passer comme une lettre à la Poste ?
La réponse est à chercher dans le tsunami électoral qui a submergé la Hongrie en 2010. A l'époque, le gouvernement social-démocrate, empêtré dans la crise avait subi un de ses plus cuisantes défaites électorales laissant la place aux conservateurs qui ont alors raflé plus des deux-tiers des sièges au Parlement. Si cette vague conservatrice a pu se matérialiser, c'est parce que, confronté à la plus grave crise économique de son histoire, la Hongrie était seule. Seule avec sa monnaie, le forin, qui a dévissé par rapport à l'€uro renchérissant immédiatement toutes les importations hongroises. Par effet domino, l'impact sur l'économie fut énorme. La Hongrie donc confrontée au son faible budget communautaire et à l'absence de solidarité des autres États-membres sombrait.

Les hongrois avait le choix entre un plan de rigueur drastique et les belles promesses venant des conservateurs leur promettant des jours moins sombres sur fond de renouveau nationaliste. Le résultat dans les urnes ne traduisit pas par une demi-mesure. L'Europe peut donc aussi s'en prendre à elle-même si elle trouve la Hongrie dans cet état.



Marche arrière toute !
Mais le plus problématique dans ce nouvelle mouture du texte fondamental hongrois est le recul des libertés fondamentales, à côté duquel les nombreuses références aux racines chrétiennes du pays ou à la grande nation hongroise pourraient paraître anecdotiques.


Une Cour raccourcie.
Premier morceau : la réduction des pouvoirs de la Cour constitutionnelle. Le premier ministre Orban a décidé de réduire son périmètre ou plutôt l'étendue des matières relevant de son autorité notamment dans les domaines économiques et sociaux. Traduction : le Premier ministre quand bien même violerait-il sa propre constitution que la Cour constitutionnelle ne pourrait le condamner puisqu'elle ne pourrait examiner les textes en question et décider ou non de les censurer. Or, ce pouvoir de censure de l'instance juridique la plus importante du pays est comme une épée de Damoclès dont l'ombre pèse sur les textes de lois. L'oublier, c'est mener le projet de loi à la ruine. Viktor Orban a donc décidé de réduire voire tout simplement de supprimer cette sécurité dans des matières éminemment sensibles que sont les matières économiques et sociales.

Pour bien mesurer l'importance de ce recul, il convient de rappeler que dans des cas similaires, des « Cour constitutionnelle » ont empêché à plusieurs reprises des dirigeants de faire ce qu'ils souhaitaient en matière législative. Ainsi, Silvio Berlusconi a vu l'immunité judiciaire qu'il avait fait voté pour se protéger annulé par la Cour constitutionnelle d'Italie. En France, on ne compte plus les textes impitoyablement censurés par les sages du Palais Royal sous « l'ère Sarkozy ». Le dernier en date en la fameuse LOPPSI II dont la quasi-totalité des dispositions phares ont été expurgés du texte adopté.


La fin de l'indépendance de la justice ?
Parallèlement aux modifications touchant la Cour constitutionnelle, Viktor Orban n'a pas oublié la justice, seule institution indépendante qui se voit mise en coupe réglée. Il est vrai que les juges ont la sale manie en Europe de vouloir faire leur travail qui consiste aussi à poursuivre les hommes politiques lorsqu'il advient que ceux-ci violent la loi.

Là encore, le Premier ministre hongrois semble s'inspirer du triste exemple de Silvio Berlusconi dont l'activité principale en tant que président du Conseil italien consiste à faire voter tous les textes possibles et imaginables pour éviter des poursuites en justice pour ses activités plus ou moins claires en tant qu'homme d'affaires. Peu lui importe qu'au passage, de nombreux criminels passent eux-aussi entre les mailles du filet.


La suppression des instances de contrôle.
Dans la lignée des précédents points, la nouvelle contitution supprime tous les médiateurs ou instances de contrôle qui existaient. Ainsi, plus de les médiateurs pour les minorités ethniques (l'équivalent de la HALDE), ni de médiateurs pour la protection des données personnelles (l'équivalent de la CNIL) et pour la protection des générations futures (l'équivalent du défenseur des droits et défenseur des enfants en France).

Non seulement nocive de façon directe pour les populations, la suppression de ces instances sera nocive à long terme en accroissant les frictions dans une société hongroise dans une société hongroise déjà tiraillée entre divers aspects. Ajoutons que cela traduit aussi un recul important en matière de droits des personnes à l'heure où la protection des données personnelles est un enjeu crucial.


Partir pour mieux rester.
A ces reculs en matière de libertés fondamentales, s'ajoutent un affaiblissement général de la démocratie hongroise. Viktor Orban sachant pertinemment que sa position ultra-majoritaire à la tête de la Hongrie ne durera pas éternellement a jalonné le nouveau fondamental de dispositions visant à lui permettre de garder un pouvoir non négligeable lorsqu'il sera dans l'opposition.

Nomination des dirigeants publics.
Nicolas Sarkozy avait modifié le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public officiellement pour mettre fin à l'hypocrisie que constituait leur mode de nomination. Officieusement, l'objectif à peine voilé était de reprendre la main sur un audiovisuel public jugé trop indépendant et impertinent.

Viktor Orban, lui, est allé beaucoup plus loin en modifiant la durée de mandat de toutes les dirigeants d'institutions étatiques. Ainsi, les mandats de ces postes passent de 9 à 12 ans. Mieux, durant ces périodes, les personnes qu'il vient ou aura nommé seront quasiment irrévocables par les gouvernements ultérieurs ce qui empêche tout changement ou réforme qui ambitionnerait de rétablir les équilibres antérieurs acquis suite à la fin du régime communiste.


Un Conseil monétaire au pouvoir démentiel.
Mais ce n'est pas fini ! En effet, quand bien même l'opposition succéderait au gouvernement conservateur de Viktor Orban arriverait à surmonter un à un tous les obstacles dressés par Viktor Orban dans la constitution, que ce dernier a octroyé un pouvoir surréaliste au Comité monétaire de la Banque centrale de Hongrie : le pouvoir de dissoudre du Parlement.

Pouvoir exceptionnel, qui n'est qu'en principe rarement utilisé ou utilisé que dans certains cas biens définis, le pouvoir de dissolution est d'ordinaire strictement réservé au chef de l'État. Ce n'est pas le cas ici, où ce pouvoir dépend d'un petit comité dont les membres, tous nommés pour des durées importantes (9 à 12 ans) par Viktor Orban sont des proches qui auront à cœur de défendre les intérêts des conservateurs.

Certes, ce pouvoir est limité aux cas où le budget ne serait pas conforme aux dispositions de la nouvelle constitution. Mais, d'une part, ces dispositions sont nombreuses, et d'autre part, confier un tel pouvoir à un comité nommé par le pouvoir exécutif revient à porter un coup considérable à la démocratie.


La fiscalité et les retraites irréformables ?
Pour couronner le tout, une nouvelle disposition rend obligatoire l'obtention d'une majorité parlementaire des deux-tiers pour valider toute réforme en matière fiscale et monétaire. Or, la réunion d'une telle majorité est, en temps normal, très difficile à obtenir voire presque impossible. En pratique, cela revient à exiger que la politique fiscale face l'objet d'un consensus national. Mais, s'il existe bien un domaine où le consensus est plus que difficile à obtenir, c'est bien la fiscalité.

De même que pour la question des retraites qui soulèvent les foules dès lors qu'un gouvernement tente de les réformer, et cela quelque soit le pays en question.


Conclusion.
La nouvelle constitution hongroise, ou plutôt son adoption, est un drame pour la Hongrie bien sur mais aussi pour l'Union Européenne. Cette dernière a pour but d'être plus qu'un espace économique favorable au développement, l'UE porte un projet de société et de diffusion des libertés publiques. Or, ce sont précisément ces valeurs que remet en cause la nouvelle constitution hongroise. Et là, pas question d'invoquer un quelconque texte européen pour imposer un retour en arrière puisqu'en droit, la constitution a la plupart du temps la valeur juridique la plus élevée, devant les traités et textes internationaux. Or, l'Union européenne et le droit communautaire relève de ce dernier niveau. Il sera donc particulièrement compliqué d'imposer un changement du texte.

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